Le Journal de Quebec

loin du podium

- denis poissant Le Journal de Montréal

RIO DE JANEIRO | À la veille de l’ouverture des Jeux de Rio, le mouvement olympique, miné par la corruption et le dopage, n’a jamais passé dans le tordeur à ce point dans l’opinion publique mondiale.

Des villes comme Boston, Oslo, Barcelone et Québec n’en veulent plus dans leur cour.

Pourquoi risquer de s’endetter pour un party de 17 jours? Sans parler des craintes reliées au terrorisme. C’est le mood général qui prévaut sur la planète, alors que seule l’asie présentera les trois prochains Jeux: Pyeongchan­g (2018), Tokyo (2020) et Pékin (2022).

C’est le baron Pierre de Coubertin qui doit se retourner dans sa tombe…

Ici à Rio, personne ne symbolise mieux le sentiment populaire que Delmo De Oliveira. L’homme de 51 ans tient tête aux autorités locales qui tentent par tous les moyens de l’évincer de son foyer des 30 dernières années, situé dans l’une des 1000 favelas de la ville, à deux pas des nouvelles installati­ons olympiques du quartier de Barra da Tijuca.

«Leur stratégie est de tenter de nous faire peur, mais je vais me battre jusqu’au bout», a-t-il confié au Journal hier par l’entremise d’un interprète.

Tel un irréductib­le Gaulois

Le quartier abritait autrefois 3000 personnes. Il n’en reste qu’une soixantain­e, presque tous relogés dans de nouvelles bicoques érigées par la Ville, juste à côté.

Dans la favela originelle, un enchevêtre­ment de structures douteuses, ne résident plus que quatre membres de la famille de M. De Oliveira.

Les bras croisés devant sa demeure, l’homme pose fièrement pour les caméras du monde entier. Une sorte d’irréductib­le Gaulois, version moderne, qui s’appuie sur des documents légaux authentifi­ant son droit de propriété.

La bataille, féroce, se déroule devant les tribunaux.

contraste frappant

Tandis que les pelles mécaniques s’affairent à ramasser les derniers détritus laissés sur le site par cette démolition massive, des chiens errants fouinent à la recherche d’un peu de nourriture.

Derrière se profile un hôtel Marriott flambant neuf, le centre de presse principal et la plus grande partie des installati­ons olympiques de ces Jeux de 20 milliards de dollars. Un contraste sidérant. Ça fourmille d’activités. Des files d’autobus s’engouffren­t dans le lourd trafic de la cité de 6,4 millions d’habitants (12 millions avec les banlieues) pour conduire les 25 000 journalist­es à bon port.

«Les Jeux, c’est juste un prétexte pour nous déplacer, dit l’homme. Tout ce qu’on veut, c’est faire de l’argent sur notre dos en construisa­nt des condominiu­ms.»

Tout s’effrite

Est-ce rentable, des Jeux olympiques?

Peu le croient encore. En 2009, au Brésil, on capotait toutefois quand Rio a obtenu les droits pour ceux de 2016.

Le pays voguait sur l’argent du pétrole et une publicatio­n sérieuse comme The

Economist prédisait que le Brésil dépasserai­t bientôt la France et l’angleterre au 5e rang des puissances économique­s mondiales. Depuis, tout s’effrite. Récession, corruption, catastroph­e écologique dans la baie, virus Zika, 77 000 personnes qui doivent changer de toit, meurtres à la hausse après une période de relative accalmie, tensions, manifestat­ions, bref tout ce qui touche de près ou de loin à Rio a une connotatio­n négative.

Et le mouvement olympique, déjà contesté, en subit les contrecoup­s évidents.

Cela dit, tout n’est pas bordélique ici. L’accueil est cha- leureux et c’est bien organisé dans l’ensemble.

Les délais de constructi­on sont respectés, bien que de justesse, car la nouvelle ligne de train reliant Copacabana à Barra vient tout juste d’être inaugurée ce lundi.

s’ils nous surprenaie­nt ?

Demain, on commencera à se concentrer sur les Jeux, et non sur les problèmes, en donnant une chance au coureur.

Ces Jeux partent dans la position peu enviable de négligés, plutôt loin d’une chance de podium, avouons-le.

Et si les Cariocas –le nom donné aux habitants de Rio – nous surprenaie­nt tous?

La présence de 22000 soldats et 5000 membres de la garde nationale rassure déjà. Et la population n’a-t-elle pas l’habitude d’éviter les débordemen­ts lors des grandes kermesses populaires, comme le carnaval annuel et la Coupe du monde de soccer de 2014?

D’ici la fin des Jeux, je vous invite donc, chers lecteurs, à suivre tous les jours notre couverture de l’événement. Nos journalist­es Pierre Durocher, Alain Bergeron, Louis Butcher et moi-même, de même que nos photograph­es Didier Debusschèr­e et Pierre-paul Poulin seront aux premières loges pour vous en rapporter tous les détails.

Les petites joies, les grandes peines et les triomphes de nos athlètes pour qui ce moment tant espéré est enfin arrivé; enfin la chance de prouver au monde entier qu’on est le meilleur, de donner tout ce qu’on a, à l’instant précis où ça compte.

Un stress énorme, inimaginab­le pour le commun des joggeurs du dimanche.

optimistes malgré tout

Ça commencera demain soir avec la cérémonie d’ouverture.

Les habitants de Rio, des festifs dans l’âme, devraient retrouver leur bonne humeur contagieus­e.

Et le dernier résistant de la favela, qu’en pense-t-il au fond, de ces Jeux mal-aimés?

«Vous savez, je n’ai rien contre en tant que tel, dit-il. Je regarderai même la cérémonie d’ouverture à la télé. C’est juste la manière dont on s’y est pris pour évincer les gens. On ne fait pas les choses comme ça. On a droit au respect, comme tout le monde, comme les plus riches de la société.»

Un sourire et une vision de la vie optimiste même dans les pires moments, la résilience incarnée, c’est ça Rio.

 ??  ?? Delmo De Oliveira tient tête aux autorités de Rio, qui veulent l’évincer de la favela qu’il habite depuis 30 ans. Le dernier des résistants est à deux pas des nouvelles installati­ons olympiques.
Delmo De Oliveira tient tête aux autorités de Rio, qui veulent l’évincer de la favela qu’il habite depuis 30 ans. Le dernier des résistants est à deux pas des nouvelles installati­ons olympiques.
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Le coup d’envoi officiel des Jeux sera donné demain. Des employés s’affairaien­t à nettoyer les terrains de tennis hier. Tout ce qui touche de près ou de loin à Rio a une connotatio­n négative ces temps-ci. Situé juste à côté du centre de presse, un...

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