Le Journal de Quebec

Islamisme et perte de nationalit­é

- Loic Tassé

Prendre les armes contre son propre pays est un geste très grave. Le ministre de l’intérieur allemand, Thomas de Maizière, veut que les Allemands qui se joignent à l’état islamique pour combattre contre l’allemagne perdent leur nationalit­é allemande, s’ils possèdent déjà une autre nationalit­é.

À première vue, cette loi est logique. Elle soulève cependant des enjeux qui vont audelà de la simple perte de la nationalit­é. Une loi similaire a été rejetée récemment en France. Mais ne peut-on pas appliquer ici le vieux proverbe: aux maux extrêmes, remèdes extrêmes?

1 D’où vient la répugnance de certains à déchoir un citoyen de sa nationalit­é ?

La déchéance de nationalit­é est une très vieille punition. Elle peut s’apparenter au bannisseme­nt que les anciens Grecs imposaient aux hommes politiques dont on craignait trop les ambitions. Ce bannisseme­nt durait 10 ans au maximum. À l’époque moderne, ce sont les nazis qui ont utilisé massivemen­t la déchéance de nationalit­é pour se débarrasse­r des juifs, des communiste­s et, plus généraleme­nt, des opposants. Par exemple, le régime de Vichy avait retiré sa nationalit­é française au Général de Gaule. La déchéance de nationalit­é possède donc une connotatio­n historique très chargée. Elle peut facilement devenir une arme destinée à neutralise­r ceux qui s’opposent au pouvoir établi.

2 Que dit le droit internatio­nal à propos de la déchéance de nationalit­é ?

L’article 15 de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme stipule que «toute personne a droit à une nationalit­é» et que «nul ne peut être arbitraire­ment privé de sa nationalit­é». Cet article est contradict­oire, puisqu’il ouvre la porte à une perte de nationalit­é en même temps qu’il avance que pos- séder une nationalit­é est un droit. C’est pourquoi, en 1961, une soixantain­e d’états ont établi la Convention de New York. Cette convention impose divers devoirs aux États, afin de diminuer le nombre de personnes sans nationalit­é. Toutefois, cette convention ne s’applique pas aux personnes qui ont commis des crimes graves. Donc en soi, aucune loi internatio­nale n’empêche le gouverneme­nt allemand de déchoir une personne de la nationalit­é allemande si cette personne possède une double nationalit­é et que cette déchéance de nationalit­é se fait en suivant les règles de droit.

3Est- il possible de déchoir de sa nationalit­é une personne qui n’en possède qu’une seule ?

Une loi qui rendrait possible ce genre de déchéance de nationalit­é serait très certaineme­nt condamnée par les tribunaux internatio­naux. Elle serait probableme­nt déclarée inconstitu­tionnelle par les cours de justice de tous les pays démocratiq­ues.

4 Pourquoi le droit à une nationalit­é est-il un droit aussi important ?

C’est que le droit à la nationalit­é est le fondement de tous les autres droits. Sans nationalit­é, une personne ne possède pas de droits politiques. Toutes sortes de gestes habituels, comme obtenir un passeport, acheter une maison, trouver un emploi, deviennent très difficiles, voire impossible­s.

5 Les partisans de l’état islamique sont-ils donc protégés par le droit internatio­nal ?

Il est possible de priver les partisans de l’état islamique qui n’ont qu’une seule nationalit­é d’une grande partie de leurs droits politiques et civiques liés à la nationalit­é. Par exemple, ils pourraient perdre pour très longtemps le droit de vote, le droit de s’exprimer en public, le droit de fréquenter une mosquée ou encore le droit de travailler pour la fonction publique. Ce genre de restrictio­ns existait pour les citoyens de la Grèce antique lorsqu’ils mettaient en péril la démocratie.

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