Le Journal de Quebec

« C’EST DE LA MAGIE CE QUI DE PASSE

Pour Pierre Lafontaine, un tsunami déferle dans la natation au Canada

- denis poissant

RIO DE JANEIRO | Tandis qu'une Penny Oleksiak en état de grâce survolait les derniers 50 mètres de sa course de 100 mètres style libre la menant vers l’or olympique jeudi soir, Pierre Lafontaine s’est levé de son siège.

Ébahi par ce qu’il voyait. L’ancien directeur général de Natation Canada de 2005 à 2013 a permis au sport de renaître de ses cendres après des années de misère.

S’occupant maintenant de l’équipe nationale de ski de fond, Lafontaine reste en amour avec la natation, un sport auquel il a dédié 40 ans de sa carrière.

Et quand il a vu la jeune prodige de 16 ans, septième au tournant avec une seconde de retard, remonter ses adversaire­s une à une, Lafontaine a vécu un grand moment devant sa télé, seul dans son appartemen­t de Canmore, où est basé le centre national d’entraîneme­nt de ski de fond.

Une première médaille d’or olympique par une nageuse canadienne depuis Los Angeles en 1984.

«J’étais debout à chanter l’hymne national dans ma cave, confie celui qui fait la navette à l’année entre l’alberta et sa résidence d’ottawa. «J’en avais des larmes aux yeux.»

CONDITIONS GAGNANTES

Compréhens­ible. Le flair de Lafontaine a ouvert la porte aux succès actuels avec l’acquisitio­n de deux sommités de la natation britanniqu­e.

Avant de quitter son poste il y a trois ans, il a d’abord embauché le réputé entraîneur Ben Titley. Puis, il a contribué à l’arrivée de son successeur comme directeur général, John Atkinson.

Les conditions gagnantes étaient réunies. Deux bolles de natation, un centre de haute performanc­e à Toronto et le programme À nous le podium pour attacher les ficelles financière­s.

Titley a décelé le potentiel d’oleksiak à Toronto, l’a poussée à fond, a peaufiné son style. Le reste de l’histoire avec un grand H s’écrit tous les jours à Rio. Déjà quatre médailles au cou, et peut-être bien une cinquième ce soir au relais 4 x 100 m 4 nages.

«L’environnem­ent d’entraîneme­nt a permis à Penny de s’épanouir, dit Lafontaine. C’est la même chose avec Phelps. Sans son entraîneur, il ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. L’entraîneur de Penny lui donne tellement de belles stratégies de courses. Tu ne gagnes pas le marathon en étant en avant après 5 kilomètres, faut en courir 42.»

«C’est de la magie ce qui se passe. Il y a une vague, je dirais même un tsunami qui déferle dans la natation au Canada. C’est aussi excitant chez les filles que chez les garçons.»

Anne Merklinger ne l’avait pas vu venir si vite, celle-là. Dans ses projection­s, la directrice générale de À nous

le podium voyait Oleksiak parmi l’élite à Tokyo en 2020.

«Notre équipe travaille très fort depuis quatre ans. Penny s’est développée encore plus vite que prévu, et c’est merveilleu­x, dit-elle. Nous voulons être des leaders mondiaux en natation et nous sommes sur la bonne voie.»

DÉTESTER PERDRE

Avant de gérer des programmes, Lafontaine était un vrai coach. De belles jobs aux États-unis et en Australie. Toujours à la piscine avec ses nageurs. Une passion.

Et en coach, il voit un potentiel illimité en Oleksiak. Son caractère de fille qui non seulement veut gagner, mais qui aussi ne veut pas perdre. Déteste perdre. Ce qui la pousse à gagner…

«Elle est à full pin et elle ne respire pas dans les 10 dernières secondes. Ça prend tout un caractère de compétiteu­r pour faire ça.»

Pousse, pousse, pousse sans respirer jusqu’à établir un record olympique (52,70 secondes), à égalité avec l’américaine Simone Manuel.

Et que se passe-t-il dans la tête d’une athlète comme ça dans les 25 derniers mètres? Pédagogue dans l’âme et excellent vulgarisat­eur, La- fontaine a toujours une analogie à portée de la main.

«Quand tu commences à rattraper quelqu’un en natation, c’est presque comme dans les courses d’auto dans les jeux vidéo et que tu vas chercher des bulles d’énergie.»

«Au tournant, quand tu vois les autres ralentir et que tu as encore de l’énergie, ça t’en donne encore plus de voir que tu es capable de les dépasser. C’est mieux qu’être en avant. Quand t’as l’avance, ça peut être long, longtemps!»

GÉRER LES ATTENTES

Oleksiak n’a que 16 ans. À Tokyo en 2020, elle n’en aura que 20.

Du jour au lendemain, la voilà sous les projecteur­s. Bientôt les compagnies se l’arracheron­t et lui offriront de jolis contrats de publicité.

C’est monté à la tête de bien des athlètes avant elle.

Que lui réserve l’avenir? Lafontaine conseille la prudence.

«Les prochaines années seront importante­s pour elle et son entourage, dit-il. On devra l’aider à gérer les attentes. Les journalist­es seront après elle, à l’école tout le monde va lui dire comment elle est bonne. Ce sera important qu’elle garde une bonne dose d’humilité.

«C’est juste de la natation dans le fond, on n’est pas en train de résoudre la famine dans le monde. Elle devra rester sur terre et ne pas avoir peur de redonner aux autres, aux plus jeunes, même si elle n’a que 16 ans.»

UN BEAU RÊVE

En attendant, une autre course l’attend ce soir.

À la piscine du Parc olympique, tous

les yeux seront rivés sur le grand Michael Phelps qui fera ses adieux. À moins que…

Ryan Lochte a lâché une bombe hier. Son compatriot­e garantit que son compatriot­e sera là en 2020, à 35 ans, soit l’âge d’un vieillard en natation. On verra bien.

Il y aura Phelps demain, et la jeune Oleksiak.

Quand tout sera fini, qu’elle remporte ou non une autre médaille, Oleksiak pensera à tout ça dans sa chambre dimanche, en se disant: «Ai-je bien réalisé tout ça?» Comme un rêve éveillé. Un beau rêve qui nous fait oublier des Jeux marqués jusqu’ici par une série de controvers­es.

Car quand on pensera à Rio dans plusieurs années, c’est de Penny Oleksiak qu’on se rappellera.

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 ??  ?? Dans quelques années, les Jeux de Rio évoqueront le souvenir du triomphe de la jeune Penny Oleksiak. En mortaise: Pierre Lafontaine a contribué aux succès actuels de l’équipe canadienne de natation.
Dans quelques années, les Jeux de Rio évoqueront le souvenir du triomphe de la jeune Penny Oleksiak. En mortaise: Pierre Lafontaine a contribué aux succès actuels de l’équipe canadienne de natation.

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