Un roman à lire SANS PRÉCAUTIONS!
Travaillant elle-même dans le monde de l’édition, Véronique Ovaldé connaît parfaitement toutes les ficelles du métier d’écrivain. Elle le prouve d’ailleurs très bien ici.
Il y a quelques années, Bernard Pivot m’avait confié qu’il était toujours plus intéressant d’interviewer des écrivains, les sportifs n’ayant généralement pas grand-chose à raconter et les politiciens gagnant à se taire plutôt que d’enchaîner les mensonges...
Au fil des ans, j’ai ainsi connu quelques moments carrément magiques en conversant avec Ken Follett, Jim Harrison, Margaret Atwood, Éric-emmanuel Schmitt, Tom Wolfe, James Ellroy ou Russell Banks. Une liste purement subjective (et très incomplète!) à laquelle je m’empresse d’ajouter le nom de Véronique Ovaldé, avec qui j’aurais volontiers prolongé l’entretien jusqu’au petit matin.
Même si j’ai lu avec régal la plupart de ses romans – je recommande notamment sans réserve Ce que je sais de Vera Candida (paru en 2009) et La grâce des brigands (paru en 2013) –, je n’avais encore jamais eu la chance de parler à cette auteure française d’origine basque espagnole. Son petit dernier s’intitulant Soyez imprudents les enfants, je n’ai pas pu m’empêcher de pousser l’impudence jusqu’à lui demander d’emblée si ce conseil s’appliquait aussi à ses trois enfants.
La réponse? «Eh bien oui!» L’explication? «J’ai mis du temps avant de le comprendre et de l’accepter, mais l’imprudence est un des seuls moyens d’avoir du plaisir dans ce monde qui n’a rien d’un champ de fleurs, affirme Véronique Ovaldé. En conseillant l’imprudence aux enfants, ils s’amuseront bien plus qu’en restant dans la sécurité en permanence. Le problème, avec la prudence, c’est qu’elle peut se transformer en peur. Peur de participer à une pièce de théâtre, peur de voyager, peur de changer de maison, peur de changer de carrière... La peur est souvent notre premier empêchement dans la vie.»
passer aux tableaux
Atanasia Bartolome, la jeune héroïne de Soyez imprudents les enfants, en sait déjà quelque chose. Elle a beau avoir 13 ans, ses parents continuent à la protéger de tout et de rien, y compris de l’art: cette année-là (soit en 1983), le Musée d’art et du patrimoine de Bilbao a accueilli une exposition ayant pour thème «Mon corps mis à nu» et Atanasia sera littéralement envoûtée par une toile de Roberto Diaz Uribe, peintre de renommée internationale qui, selon la rumeur, se serait exilé sur une île secrète au début des années 1960.
Un envoûtement qui ne tardera pas à inquiéter sérieusement ses parents, Atanasia pouvant désormais passer des heures à contempler la carte postale achetée à la boutique du musée ou à lire des ouvrages divulguant au comptegouttes de nouveaux détails sur le mystérieux parcours de Roberto Diaz Uribe.
«À 16 ans, j’ai moi aussi eu ce genre de choc devant une immense toile de Jackson Pollock exposée à Paris, au Centre Pompidou, précise Véronique Ovaldé. Ce fut un moment important de mon apprentissage, parce que ç’a été mon premier éblouissement avec un peintre et parce qu’ensuite je me suis intéressée à l’abstraction lyrique. L’adolescence étant une étape dangereuse où beaucoup de choses se jouent, où plein de choses peuvent arriver, je me souviens très bien de ce par quoi je suis passée et, dans ce livre qui est à la fois un roman d’aventures et un roman de formation, on suivra Atanasia de ses 13 ans à ses 20 ans. À mes yeux, il est toujours fascinant de voir un enfant devenir adulte.»
une vaste palette d’émotions
En s’obstinant à en apprendre davantage sur Roberto Diaz Uribe, Atanasia tentera surtout d’échapper à un morne quotidien, tempéré chaque été par de longues vacances à Uburuk. En soi, cette petite ville du nord de l’espagne où presque tous les Bartolome ont vu le jour est mortellement ennuyeuse. Mais grâce à sa grand-mère paternelle, qui n’a jamais eu sa langue dans sa poche, elle découvrira peu à peu que l’histoire de sa propre famille, fabriquée de légendes et de récits souvent hauts en couleur, est digne d’un roman.
Véronique Ovaldé se chargera d’ailleurs d’en rapporter quelques chapitres dont certains, franchement captivants, remontent jusqu’au 17e siècle. Et de ce fait, on ne tardera pas à comprendre pourquoi Atanasia aura autant de mal à savoir qui elle est vraiment. «Dans la vraie vie, j’aime les gens un peu compliqués, les gens qui se cherchent, ajoute Véronique Ovaldé. Ce qui nous est imposé, le milieu où l’on naît, est une des plus grandes injustices, car on doit ensuite faire avec, modeler notre existence à partir de cette donnée qu’on ne maîtrise pas. Il y a donc des gens qui restent et des gens qui partent.»
Cela étant, Soyez imprudents les enfants fait partie des récits qui restent, la surprenante issue de cette saga familiale promettant de nous hanter longtemps.