Le Journal de Quebec

Insignifia­nte je suis, insignifia­nte je resterai à jamais

- LOUISE DESCHÂTELE­TS louise.deschatele­ts@quebecorme­dia.com

Tôt dans ma vie j’ai été convaincue de mon insignifia­nce, et mon entourage immédiat (père, frères et soeur aînée) étaient là pour me le rappeler en cas d’oubli. Seule ma mère me procurait un amour qui m’apparaissa­it inconditio­nnel. Pas étrange que je me sois identifiée à elle dès les premières années de ma vie.

Une « sainte femme » selon l’évangile, entièremen­t dévouée à sa famille et à son mari. Une femme habile aux travaux ménagers, une cuisinière, une infirmière, une couturière, une bonne à tout faire que nous abordions presque toujours par: « Maman peux-tu me…? » Ça aurait d’ailleurs pu être son nom de famille « Maman peux-tu ». Mon modèle d’insignifia­nce incarnée.

L’autre soir vers la fin de la septième bouteille de vin, alors que nous étions huit à table, un ami s’est mis à nous parler de sa mère. C’est fou ce qu’il en savait des choses sur elle : ses goûts, ses livres favoris, ses amours, ses opinions arrêtées sur tout et sur rien. Assez pour pouvoir écrire sa biographie.

Moi je ne connais que le prénom et le nom de famille da la mienne. J’ai même oublié sa date de naissance. Je sais juste qu’elle faisait tout dans la maison, qu’elle aimait jouer aux cartes en fin de journée avec moi, qu’elle ne sortait jamais sauf pour faire les courses, et qu’elle correspond­ait régulièrem­ent avec sa soeur Yvonne. Voilà, ça résume « Maman peux-tu » Mais qui était-elle? Peut-être que sa personnali­té n’existait pas, qu’elle ne vivait qu’en fonction des autres, que son individual­ité était larvée. Elle est morte trop tôt, bien avant que toutes ces questions me montent au cerveau. Toute persuadée que je sois de mon insignifia­nce, je lutte contre mon destin, et ça ne m’empêche pas d’admirer les gens signifiant­s, importants, talentueux. Tous ceux qui ont réussi leur vie, qui connaissen­t gloire et succès. Des gens comme vous ou Céline Dion, ou le beau Justin Trudeau et sa charmante épouse. Et d’ignorer les autres, les aussi insignifia­nts que moi, ce qui n’est pas facile vu que nous sommes la majorité.

À commencer par mes frères et soeurs, tiens! D’ailleurs, si je n’avais pas été aussi insignifia­nte, j’aurais pu leur poser quelques questions sur ma mère avant qu’ils ne se taisent pour de bon. Mais ils sont tous morts, les uns après les autres, victimes de cancers. Je suis la seule survivante, héritière de l’insignifia­nce de la famille. Anonyme

La teneur de votre lettre m’indique tout, sauf l’insignifia­nce. Vos amis seraient certaineme­nt d’accord avec moi pour témoigner du contraire. J’espère qu’avec l’esprit d’analyse que vous me semblez avoir, vous aurez envie de fouiller les raisons qui vous font vous dénigrer ainsi, et que vous chercherez pendant qu’il en est encore temps, à redorer votre blason à vos propres yeux. C’est la grâee que je vous souhaite

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