Le Journal de Quebec

Des bottes dans le bain

- richard Martineau richard.martineau@quebecorme­dia.com

Plus on vieillit, plus le passé nous hante.

Plus on s’éloigne de l’enfance, plus l’enfance remonte.

C’est bizarre, mais c’est vrai.

Tenez, moi, ces temps-ci, ce sont des images des Noëls de mon enfance qui défilent dans ma tête.

Des images hachurées, aux couleurs délavées, comme un vieux film super 8, peuplées de fantômes qui ne sont plus de ce monde.

UNE MONTAGNE DE MANTEAUX

Premièreme­nt, des bottes dans le bain.

Des dizaines de bottes brunes, en caoutchouc, avec une attache sur le côté. Et des claques.

Une montagne de manteaux de fourrure sur le lit, dans lesquels on allait se blottir vers minuit.

La table de la cuisine remplie de bouffe. Des oeufs mayonnaise, des pets de soeur, des petits pains fourrés, des carrés Rice Krispies, des petits oignons (qu’on ne mangeait jamais), des gâteaux aux fruits.

Des petites bouteilles de bière brune, qu’on vidait avec les cousins quand les parents regardaien­t ailleurs.

La tante sexy avec qui on dansait un slow et qui nous passait la main dans les cheveux en riant.

Les 45-tours avec l’adaptateur en plastique jaune à l’intérieur du trou. «Agadou dou dou pousse l’ananas et mouds l’café, Señor Météo toi nous dire s’il fait beau, Le mur derrière la grange a pas besoin d’être peinturé c’t’année…»

Les matantes qui dansaient sur In the Navy de Village People sans savoir que c’était un hymne à l’homosexual­ité.

Les cendriers en verre soufflé remplis à ras bord. Car, à l’époque, les fumeurs n’allaient pas se geler les couilles sur le balcon et les soulons n’étaient pas encore alcoolique­s.

Je m’ennuie des Noëls de mon enfance.

BRUN ET ORANGE

La cousine qui avait des gros seins pour son âge.

Ma mère qui portait un postiche, mon père qui avait une chemise brune avec un col super large, des vêtements en polyester, en tweed, en velours côtelé, ça sentait l’aqua Velva, Brunante de Michel Robichaud, Brut 33, Opium d’yves Saint Laurent.

Le sous-sol en préfini, le tapis orange, les chaises rangées contre les murs, le mobilier mid-century modern, le buffet en teck avec les portes à glissière (c’était avant IKEA, quand les meubles étaient livrés déjà assemblés).

Mon local avec du papier d’aluminium sur les murs, des posters psychédéli­ques et un néon black light (sans oublier un Penthouse que j’avais piqué dans un dépanneur et que je cachais dans la pochette d’un album double de Yes).

Les parties de Ker Plunk, de Mouse Trap et de Mastermind, View-master, Spirograph, Etch-a-sketch, le four Easy-bake de ma soeur.

Ma piste de course en 8 avec les chars qui débarquaie­nt tout le temps dans les virages, mes Hot Wheels, Bing Bang rentre dedans, l’affiche de Farrah Fawcett.

Mon père à quatre pattes qui dévissait le dessous de mes jeux pour insérer des batteries.

FELIZ NAVIDAD

Et, surtout, du monde, du monde partout, des cousins, des tantes, des oncles, des nièces, des neveux.

René, Gérard, Jean-claude, Yvon, Carmen, Monique, Sylvain… Aujourd’hui, on a des minifamill­es. On fête Noël dans le Sud. On fait attention à notre poids, un tel est végé, l’autre est allergique au gluten…

Il n’y a pas de table pour les enfants, les jeunes pitonnent sur leur écran.

Il n’y a plus de bottes dans le bain ni de manteaux sur le lit.

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