Le Journal de Quebec

Occuper le territoire

- Lise Ravary Communicat­rice, journalist­e et chroniqueu­se clise. ravary@quebecorme­dia.com L@ liseravary

En 2016, j’ai changé de vie. J’ai quitté la ville pour la campagne, un rêve que je caressais depuis longtemps. J’avais toutes les raisons du monde pour ne pas écouter mon coeur: les enfants, la carrière, les amis, la distance, l’argent… Mais si j’avais su ce que je sais maintenant, j’aurais fait le saut bien avant.

Mon mari et moi habitons un modeste cottage bleu au milieu de trois acres de terrain vierge. Devant la maison, un immense étang où frétillent des poissons. Derrière, une forêt dense. À droite, un enclos de poneys Shetland. À gauche, sous la fenêtre de ma chambre, une clairière qui déborde de fleurs sauvages l’été.

Le paradis au beau milieu de nulle part, à une heure cinq minutes de Montréal.

Je mettais parfois 50 minutes pour descendre d’ahuntsic au centre-ville, alors…

En prime, j’habite le coin de pays où se sont établis mes lointains ancêtres au XVIIIE siècle, tout près du village natal de mon père, Saint-télesphore.

Adoptée, j’ai enfin réussi à attacher mes nébuleuses racines à celles, agraires, de mon paternel.

RIEN N’EST PARFAIT

J’écris ce texte à la pizzeria du coin. Je squatte leur Wifi, parce que j’ai utilisé toutes les données de mon modeste forfait à 80 $ par mois.

Quand j’ai appelé mon fournisseu­r, le seul ici, pour passer au forfait supérieur annoncé sur leur site, on m’a répondu que ce n’était pas possible. «La tour est pleine.» «Et quand la tour sera-t-elle regarnie? ai-je demandé. Des jours, des mois, des années?» «Impossible de le dire.»

À une heure de Montréal et 90 minutes d’ottawa, la capitale, nous vivons en pleine Sibérie numérique. Que font les gens du Témiscamin­gue?

Dans un texte de juin dernier, «La ruralité comme tiers-monde numérique», Fabien Deglise, du Devoir, écrivait qu’à peine 15 % des résidents des Laurentide­s ont accès à l’internet haute vitesse.

EN FINLANDE, C’EST UN DROIT

Le fédéral a récemment consenti 500 millions $ sur cinq ans, et le Québec 200 millions $ pour accélérer le développem­ent de l’internet et des services cellulaire­s en régions rurales. Quand les effets se feront-ils sentir? Nul ne sait. Des jours, des mois, des années…

Même si l’état doit s’en mêler, comme il l’a fait autrefois pour électrifie­r le Québec, le privé voit cet argent comme une entrave aux investisse­ments privés.

D’accord, mais quel entreprene­ur va mettre ses billes dans un service où il n’y a pas assez de clients potentiels?

J’entends certains dire que je n’avais qu’à rester en ville. C’est vrai dans mon cas, mais je pense aussi à mes voisins, agriculteu­rs ou éleveurs de chevaux. N’ont-ils pas droit, eux aussi, à des services qui vaillent? C’est scandaleux qu’un citoyen d’un pays du G7 ne puisse se lancer en affaires hors des grands centres, faute d’accès à un service internet décent, à un coût raisonnabl­e. Imaginez l’impact sur l’économie!

Ne pas avoir internet, c’est comme ne pas avoir une route devant la maison.

Regrets? Non. Le moiré de la Voie lactée que nous percevons la nuit sans lune vaut bien quelques gigabits en retard.

De retour le 8 janvier. D'ici là, joyeux Noël!

En Finlande, l’internet haute vitesse est un droit.

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Le paradis au beau milieu de nulle part, à une heure cinq minutes de Montréal.

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