La motion oubliée
On a négligé les phénomènes d’islamophobie au Québec ces dernières années. L’aveu a été fait par plusieurs membres de la classe politique, dont Alexandre Cloutier du Parti québécois, cette semaine.
Sous-estimer le phénomène de haine souterraine à l’égard des musulmans fut une grave erreur. Y eûton porté davantage d’attention cependant que la tuerie de dimanche aurait peut-être eu lieu quand même. Mais bien des souffrances auraient pu être évitées. Pourquoi fallait-il qu’on attende cet atroce événement pour que les concitoyens québécois cherchent à mieux se connaître, mieux s’écouter? À toute chose, malheur est bon, peut-on se consoler.
DES SONNETTES D’ALARME
On a pris conscience ces derniers jours que plusieurs sonnettes d’alarme avaient été tirées. Les paroles et actes de nature islamophobe semblaient se multiplier, s’aggraver depuis quelques années.
En septembre 2016, des représentants des communautés musulmanes ont alerté le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux. Quelles suites a-t-on données à ces avertissements? Peu, semble-t-il.
Un an plus tôt, le 1er octobre 2015 pour être plus précis, l’assemblée nationale, d’une seule voix, adoptait une motion qui, rétrospectivement, semble terriblement prémonitoire: «Que l’assemblée nationale […] s’inquiète de l’augmentation des vidéos et déclarations à caractère islamophobe et raciste qui fusent sur les réseaux sociaux […] que cette Assemblée condamne sans réserve les appels à la haine et à la violence contre tous les citoyens du Québec.»
Ce qui apparaît, après coup, comme un sursaut de lucidité, on le doit no- tamment à Françoise David de Québec solidaire. Le débat qui précéda l’adoption de la motion – débat qui porta sur le vocable «islamophobe» – recèle quelques explications quant aux suites timides, voire inexistantes données à la motion. Paradoxe, c’est Agnès Maltais qui, mardi, rappela son existence. Pourtant, en 2015, elle avait tout fait pour l’expurger du terme «islamophobe».
UN MOT BÂILLON
Avec le recul, on peut s’en étonner. Il ne faut pas nier, toutefois, que c’est là un qualificatif chargé, piégé. Souvent utilisé tel un bâillon. Rachad Antonius, professeur de sociologie à L’UQAM, soulignait même en octobre dans Le Devoir qu’à force d’assimiler toute critique de l’islam à une manifestation d’islamophobie, certains adoptent une «position de déni» à l’endroit des «méfaits de la logique islamiste, allant jusqu’à contester la pertinence même du concept d’islamisme dans l’analyse des rapports entre minorités musulmanes et société d’accueil, ou même contester que Daesh ait un rapport quelconque avec l’islam». Peu importe le mot pour les qualifier, il fallait, en 2015, dénoncer ces gestes. Il aurait fallu en faire bien davantage pour passer de la dénonciation à la prévention. Aujourd’hui, peut-être devrions-nous tenter de mieux nommer les choses, de faire les distinctions. Condamner l’«islamophobie», mais s’autoriser une «islamisto-phobie»: saine peur de l’islamisme? On éviterait ainsi, peut-être, certaines généralisations létales.
QUÉBÉCOPHOBIE
Généralisation: plusieurs de ceux qui ont tenté de trouver des causes à la tuerie sont tombés dans le piège. Comme à chaque événement du genre, dans les médias nord-américains, on en profite pour diaboliser le Québec et sa volonté foncière de perpétuer une culture particulière. Mais selon le chroniqueur vancouvérois J.J. Mccullough, dans le Washington Post d’hier, de cette volonté découlerait notre propension à produire plus de «fous» qui commettent des tueries! La québécophobie est évidemment moins répandue et létale que l’islamophobie. Elle n’est pas moins condamnable.