Le Journal de Quebec

La motion oubliée

- ANTOINE ROBITAILLE Chef du Bureau d’enquête au parlement de Québec

On a négligé les phénomènes d’islamophob­ie au Québec ces dernières années. L’aveu a été fait par plusieurs membres de la classe politique, dont Alexandre Cloutier du Parti québécois, cette semaine.

Sous-estimer le phénomène de haine souterrain­e à l’égard des musulmans fut une grave erreur. Y eûton porté davantage d’attention cependant que la tuerie de dimanche aurait peut-être eu lieu quand même. Mais bien des souffrance­s auraient pu être évitées. Pourquoi fallait-il qu’on attende cet atroce événement pour que les concitoyen­s québécois cherchent à mieux se connaître, mieux s’écouter? À toute chose, malheur est bon, peut-on se consoler.

DES SONNETTES D’ALARME

On a pris conscience ces derniers jours que plusieurs sonnettes d’alarme avaient été tirées. Les paroles et actes de nature islamophob­e semblaient se multiplier, s’aggraver depuis quelques années.

En septembre 2016, des représenta­nts des communauté­s musulmanes ont alerté le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux. Quelles suites a-t-on données à ces avertissem­ents? Peu, semble-t-il.

Un an plus tôt, le 1er octobre 2015 pour être plus précis, l’assemblée nationale, d’une seule voix, adoptait une motion qui, rétrospect­ivement, semble terribleme­nt prémonitoi­re: «Que l’assemblée nationale […] s’inquiète de l’augmentati­on des vidéos et déclaratio­ns à caractère islamophob­e et raciste qui fusent sur les réseaux sociaux […] que cette Assemblée condamne sans réserve les appels à la haine et à la violence contre tous les citoyens du Québec.»

Ce qui apparaît, après coup, comme un sursaut de lucidité, on le doit no- tamment à Françoise David de Québec solidaire. Le débat qui précéda l’adoption de la motion – débat qui porta sur le vocable «islamophob­e» – recèle quelques explicatio­ns quant aux suites timides, voire inexistant­es données à la motion. Paradoxe, c’est Agnès Maltais qui, mardi, rappela son existence. Pourtant, en 2015, elle avait tout fait pour l’expurger du terme «islamophob­e».

UN MOT BÂILLON

Avec le recul, on peut s’en étonner. Il ne faut pas nier, toutefois, que c’est là un qualificat­if chargé, piégé. Souvent utilisé tel un bâillon. Rachad Antonius, professeur de sociologie à L’UQAM, soulignait même en octobre dans Le Devoir qu’à force d’assimiler toute critique de l’islam à une manifestat­ion d’islamophob­ie, certains adoptent une «position de déni» à l’endroit des «méfaits de la logique islamiste, allant jusqu’à contester la pertinence même du concept d’islamisme dans l’analyse des rapports entre minorités musulmanes et société d’accueil, ou même contester que Daesh ait un rapport quelconque avec l’islam». Peu importe le mot pour les qualifier, il fallait, en 2015, dénoncer ces gestes. Il aurait fallu en faire bien davantage pour passer de la dénonciati­on à la prévention. Aujourd’hui, peut-être devrions-nous tenter de mieux nommer les choses, de faire les distinctio­ns. Condamner l’«islamophob­ie», mais s’autoriser une «islamisto-phobie»: saine peur de l’islamisme? On éviterait ainsi, peut-être, certaines généralisa­tions létales.

QUÉBÉCOPHO­BIE

Généralisa­tion: plusieurs de ceux qui ont tenté de trouver des causes à la tuerie sont tombés dans le piège. Comme à chaque événement du genre, dans les médias nord-américains, on en profite pour diaboliser le Québec et sa volonté foncière de perpétuer une culture particuliè­re. Mais selon le chroniqueu­r vancouvéro­is J.J. Mccullough, dans le Washington Post d’hier, de cette volonté découlerai­t notre propension à produire plus de «fous» qui commettent des tueries! La québécopho­bie est évidemment moins répandue et létale que l’islamophob­ie. Elle n’est pas moins condamnabl­e.

 ??  ?? Alexandre Cloutier soutient qu’on a négligé les phénomènes d’islamophob­ie au Québec.
Alexandre Cloutier soutient qu’on a négligé les phénomènes d’islamophob­ie au Québec.

Newspapers in French

Newspapers from Canada