Les politiciens jugés « passifs »
Le porte-parole d’une association musulmane dit avoir alerté les élus à propos de la montée de la haine
Haroun Bouazzi milite depuis 10 ans contre l’islamophobie. Depuis la tuerie de dimanche, le cofondateur et porte-parole de l’association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec (Amal-québec) blâme la classe politique d’être restée «passive» devant plusieurs actes haineux.
Vous étiez en France lorsque la tuerie à la mosquée de Québec a eu lieu. Vous vous êtes dit choqué, mais pas surpris par les événements. Pourquoi ?
Ça fait longtemps que je travaille sur les questions d’égalité, de lutte contre le racisme et contre l’islamophobie. Nous étions au courant que plusieurs actes de violence et de haine avaient été faits contre les mosquées au Québec. […] Ce n’est pas faute d’avoir alerté nos élus.
Vous êtes père d’une jeune fille de 9 ans. Quelle est la première chose que vous lui avez dite au sujet de l’attentat de Québec ?
J’ai été très mauvais. En toute honnêteté, je n’ai pas su quoi lui dire. J’ai paniqué. Je lui ai juste demandé si elle était au courant et c’est tout. Je ne sais pas comment expliquer des choses comme ça à un enfant de 9 ans. Il y a des choses que, même nous, on ne comprend pas. De devoir leur expliquer ça en si bas âge, c’est atroce.
Que diriez-vous aux parents du présumé tueur si vous aviez la chance de leur parler ?
Honnêtement, les mots me manquent. Ça doit être très difficile pour eux. Mais je leur dirais que, même si leur fils est un présumé terroriste, ça ne lui enlève pas son humanité.
Est-il possible de pardonner un geste comme celui qu’a posé le présumé tueur ?
Le geste est irréparable. Ce que je sais, c’est qu’il faut que justice soit faite sans vouloir chercher à se venger.
Croyez-vous que la montée du djihadisme nourrit la crainte de certains envers l’islam ?
Je comprends parfaitement les peurs et les craintes de mes compatriotes. Mais parmi les gens qui ont peur, il y a également des musulmans. Quand on voit ce qui se passe dans le monde, c’est difficile d’être optimiste. Mais la peur n’excuse pas la discrimination ou le racisme. Cette peur est compréhensible, mais on a la responsabilité de la comprendre pour ensuite mieux la gérer et en faire une force positive.
Que pensez-vous du travail de la classe politique en ce qui concerne l’islamophobie ?
Notre classe politique n’a pas été à la hauteur ces dernières années. Elle a fait une diabolisation de la minorité musulmane en disant, par exemple, que le port du burkini à la plage n’avait pas sa place ou en interdisant le port du voile au travail. Certains politiciens ont manipulé la population québécoise en leur expliquant que les 3 % de musulmans étaient un problème dans la société. Ils ont manipulé des réalités comme la question des accommodements raisonnables. Il y a eu un laisser-aller, tant au niveau municipal qu’au niveau provincial. Ça fait longtemps qu’on alerte les autorités pour qu’elles rappellent aux Québécois que les lieux de culte ne sont pas quelque chose de dangereux et qu’il faut condamner les actes islamophobes. Il y a eu une énorme passivité.
Près de 10 ans après sa publication, que doit-on retirer du rapport de la commission Bouchard-taylor, selon vous ?
La commission Bouchard-taylor avait remis un document très bien fait et qui donnait un portrait juste… à l’époque. Elle avait cependant conclu qu’il y avait, au Québec, un problème de perception qui pouvait alimenter la crainte des minorités, et ça n’a jamais été réglé. Le problème a plutôt été amplifié par nos dirigeants politiques. Ils ont créé un problème de société en surfant sur un problème de perception. Je crois qu’il faut faire une autre commission, qui porterait sur le racisme au Québec.
Que pensez-vous de la Charte des valeurs présentée en 2013 par le gouvernement Marois ?
La Charte a été une erreur du début à la fin. Il n’y a rien de positif qui est sorti de tout ça. Elle avait pour objectif de caresser la majorité du peuple dans le sens du poil, mais elle nous a plutôt divisés. Ce n’était qu’un simple outil politique. On a joué avec le feu et on s’est brûlés tous ensemble.
Avez-vous un message pour la classe politique ?
Soyez à la hauteur du moment. Soyez à la hauteur des aspirations de notre nation.
Que doit-on retenir de cette tragédie, en tant que peuple ?
Un peuple est capable du meilleur comme du pire. Aujourd’hui, nous avons montré que nous sommes capables de nous unir pour le meilleur. Le Québec a démontré qu’il est une grande nation et qu’il va en sortir grandi.