Le Journal de Quebec

Le pire, c’est la peur de l’autre

Sociologue et historien Gérard Bouchard interpelle les partis politiques pour « Changer le Climat »

- Benoît Philie l Bphiliejdm

Le Québec doit tirer des leçons de l’attentat de dimanche et éviter de tomber dans la peur de l’autre, «la pire chose» qui pourrait arriver à notre société, estime l’historien et sociologue Gérard Bouchard. Celui qui a coprésidé la Commission sur les accommodem­ents raisonnabl­es en 2007 trouve de bon augure la vague de solidarité qui a suivi le drame, mais presse le gouverneme­nt d’agir pour mettre un frein aux tensions ethniques qui ne cessent de grandir au Québec. Comment expliquez-vous qu’un Acte de Ce genre se soit produit Chez nous ? C’est un acte isolé. Il n’y a rien qui annonçait un geste d’une telle violence. C’est comme un coup de tonnerre dans le ciel bleu. Des gens ont évoqué le climat négatif qui a été créé récemment au Québec par des chroniqueu­rs et certaines radios populistes, mais moi je suis très prudent sur ce point-là. On n’est pas une culture violente au Québec. C’est tellement différent de ce que nous sommes.

Depuis quelques Années, les tensions ethniques ne Cessent d’augmenter dans la province. Faut-il maintenant Craindre une division encore plus profonde Au Québec ? Jusqu’ici, ce sont les Québécois d’ascendance qui avaient peur du terrorisme [islamiste]. Mais maintenant la situation s’est inversée. Est-ce que les musulmans vont se mettre à craindre aussi le terrorisme qui vient des Québécois d’ascendance? Cela serait bien mauvais, parce qu’on aurait tous peur les uns des autres. Et ça, c’est bien la pire chose qui pourrait arriver.

Que peut-on faire pour éviter que la situation ne s’envenime ? Il va falloir qu’il se passe quelque chose, que les partis politiques prennent des initiative­s pour changer le climat et rétablir la confiance entre les milieux culturels. Il faut défaire les conséquenc­es néfastes du projet de Charte des valeurs et défaire la peur naissante que pourraient entretenir les musulmans à l’égard des Québécois d’origine. Et du côté de la société civile, il y a des initiative­s qui pourraient naître spontanéme­nt pour rapprocher les communauté­s culturelle­s. Où je demeure, au Saguenay, il y a des gens qui organisent des brunchs le dimanche pour rapprocher les voisinages où il y a des immigrants. Si on additionne ce genre d’initiative­s un peu partout au Québec, sur quelques années, cela peut contribuer à changer le climat d’une manière importante. Considérez-vous que la situation A Changé Au Québec depuis le dépôt de votre rapport sur les pratiques d'accommodem­ent reliées Aux différence­s Culturelle­s ? Non, il ne s’est pas fait beaucoup de choses pour ce qui est de nos principale­s recommanda­tions. Je dirais qu’il y a une espèce d’inaction du gouverneme­nt et dans un contexte où il y a une tension interethni­que, c’est d’une grande imprudence de laisser faire la situation. On ne peut pas dire que le gouverneme­nt libéral n’a rien fait, mais on retient surtout des tentatives extrêmemen­t timides qui n’ont abouti nulle part, avec des projets de loi qui sont morts au feuilleton. Le premier ministre Philippe Couillard vient d’ailleurs de repousser l’échéance du projet de laïcité du Parti libéral.

Et qu’en est-il du projet de Charte des valeurs du Parti québécois ? Du côté du PQ, on peut dire qu’ils en ont trop fait d’une certaine manière, avec ce projet qui a empiré les choses. La Charte a terribleme­nt divisé les Québécois et creusé un écart très dommageabl­e entre les minorités ethnocultu­relles et la majorité. On peut même dire que ça a dressé ces minorités contre la majorité. Et cela, c’est une cicatrice qui va durer longtemps. Il y a un coût collectif considérab­le rattaché à cela. J’ai pu voir depuis dimanche des déclaratio­ns de certains musulmans qui racontent avoir été profondéme­nt aliénés et blessés par ce projet.

Pensez-vous que la tragédie de dimanche, malgré sa violence, peut finir par rapprocher les différente­s Cultures Au Québec ? Il y a quelque chose d’encouragea­nt dans la réaction de solidarité qui a suivi le drame. Les élites politiques ont fait leur mea-culpa, d’une certaine manière. Elles ont pris des résolution­s, même si on ne sait pas combien de temps cela va durer. Et du côté de la communauté musulmane, les gens ont montré beaucoup de dignité dans leur malheur. Il n’y a pas eu une once d’agressivit­é dans leurs déclaratio­ns et dans leur réaction. C’était au contraire une invitation à la solidarité. Je trouve qu’il y a quelque chose de très québécois dans cette réaction.

« IL VA FALLOIR QU’IL SE PASSE QUELQUE CHOSE, QUE LES PARTIS POLITIQUES PRENNENT DES INITIATIVE­S POUR CHANGER LE CLIMAT ET RÉTABLIR LA CONFIANCE ENTRE LES MILIEUX CULTURELS »

— Gérard Bouchard

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PHOTO D’ARCHIVES Le sociologue Gérard Bouchard a coprésidé la Commission de consultati­on sur les pratiques d'accommodem­ent reliées aux différence­s culturelle­s en 2007 et 2008.
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