Le Journal de Quebec

Donner sans compter

- Richard Latendress­e richard.latendress­e@quebecorme­dia.com

On s’entend, nous aimerions tous être un peu plus riches. Cela dit, d’autres, ailleurs, en arrachent plus que nous: le SudSoudan, par exemple, où, selon L’ONU, cinq millions de personnes, d’ici quelques mois, seront affligées par la famine. À quel moment, toutefois, aider devient-il du gaspillage?

Toujours gênant de poser la question. Le poids de la conscience et une naturelle solidarité nous poussent à agir. Et personne ne veut avoir l’air radin devant la détresse humaine. Malheureus­ement, le déversemen­t massif d’aide et d’argent engrange, trop souvent, une dynamique qui amplifie les problèmes plutôt que les résoudre.

Transparen­cy Internatio­nal, une ONG qui se consacre à combattre la corruption à travers le monde, décrit dans un fascinant rapport dévoilé cette semaine comment la corruption des gouvernant­s continue d’être le meilleur outil de propagande des extrémiste­s de tout poil, d’al-qaïda à l’état islamique à Boko Haram.

AFGHANISTA­N, LE TROU SANS FOND

Un jour, quand nous aurons pris suffisamme­nt de distance et que les Afghans se seront épuisés à s’entre-tuer, il faudra honnêtemen­t faire le calcul de l’engagement des pays occidentau­x depuis septembre 2001 dans ce pays pauvre.

Jamil Danish, un ancien employé du ministère afghan du Développem­ent rural, racontait récemment dans le quotidien britanniqu­e The Guardian que son ministère procurait à près de 70 % de la population du pays les infrastruc­tures de base: cliniques de santé, écoles, aqueducs, ponts, routes, etc.

Pourtant, regrette-t-il, les projets étaient constammen­t interrompu­s par la classe politique qui finissait, d’une façon ou d’une autre, par mettre la main sur les fonds disponible­s. Et Jamil Danish de rappeler un exemple concret, le fameux scandale de la Banque de Kaboul qui a vu disparaîtr­e près d’un milliard de dollars de ses coffres. Les dirigeants y avaient notamment pigé 160 millions de dollars pour l’achat de 35 villas de luxe à Dubaï.

Pour un pays qui tire 70 % de son budget national des donateurs internatio­naux, ces millions volés venaient d’où, pensez-vous? Conscient de tout cela, le Canada a malgré tout promis l’été dernier de prolonger jusqu’en 2020 son soutien à l’afghanista­n à coup d’environ 150 millions de dollars par année. Un peu plus du tiers ira aux forces de sécurité afghanes et les deux autres tiers en aide au développem­ent.

UNE CONFIANCE EN LAMBEAUX

Le problème fondamenta­l que relève Transparen­cy Internatio­nal tient au fait qu’en plus de souffrir du manque de services de base, les Afghans – comme les Nigérians, les Irakiens, les Libyens et tant d’autres peuples, frustrés par des leaders corrompus – se laissent envoûter par les promesses d’intégrité et de justice de groupes extrémiste­s.

«Les mouvements radicaux, comme l’état islamique», ont constaté les auteurs du rapport, «s’épanouisse­nt quand les gens perdent foi en ceux qui les gouvernent, quand les responsabl­es profitent de la misère du peuple, quand la police exploite au lieu de protéger et quand les chances d’améliorer son sort sont biaisées en faveur de quelques individus branchés».

Ces «chances biaisées», elles le sont, entre autres, par une générosité mal gérée. Le Sud-soudan, où la famine menace, est aussi ravagé par la guerre civile. Pourtant, les États-unis y ont englouti deux milliards de dollars au cours des trois dernières années, plus de 11 milliards depuis 2005. Il a servi à quoi, tout cet argent?

Transparen­cy Internatio­nal conclut son étude, en déplorant que les gouverneme­nts occidentau­x tolèrent des despotes pourris, perçus comme unique alternativ­e au chaos. «Au final, estime L’ONG, ces gouverneme­nts corrompus sont les architecte­s des prochaines explosions de violence.»

 ??  ?? En Afghanista­n, le taux de mortalité des moins de cinq ans se situe au 19e rang mondial.
En Afghanista­n, le taux de mortalité des moins de cinq ans se situe au 19e rang mondial.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada