Donner sans compter
On s’entend, nous aimerions tous être un peu plus riches. Cela dit, d’autres, ailleurs, en arrachent plus que nous: le SudSoudan, par exemple, où, selon L’ONU, cinq millions de personnes, d’ici quelques mois, seront affligées par la famine. À quel moment, toutefois, aider devient-il du gaspillage?
Toujours gênant de poser la question. Le poids de la conscience et une naturelle solidarité nous poussent à agir. Et personne ne veut avoir l’air radin devant la détresse humaine. Malheureusement, le déversement massif d’aide et d’argent engrange, trop souvent, une dynamique qui amplifie les problèmes plutôt que les résoudre.
Transparency International, une ONG qui se consacre à combattre la corruption à travers le monde, décrit dans un fascinant rapport dévoilé cette semaine comment la corruption des gouvernants continue d’être le meilleur outil de propagande des extrémistes de tout poil, d’al-qaïda à l’état islamique à Boko Haram.
AFGHANISTAN, LE TROU SANS FOND
Un jour, quand nous aurons pris suffisamment de distance et que les Afghans se seront épuisés à s’entre-tuer, il faudra honnêtement faire le calcul de l’engagement des pays occidentaux depuis septembre 2001 dans ce pays pauvre.
Jamil Danish, un ancien employé du ministère afghan du Développement rural, racontait récemment dans le quotidien britannique The Guardian que son ministère procurait à près de 70 % de la population du pays les infrastructures de base: cliniques de santé, écoles, aqueducs, ponts, routes, etc.
Pourtant, regrette-t-il, les projets étaient constamment interrompus par la classe politique qui finissait, d’une façon ou d’une autre, par mettre la main sur les fonds disponibles. Et Jamil Danish de rappeler un exemple concret, le fameux scandale de la Banque de Kaboul qui a vu disparaître près d’un milliard de dollars de ses coffres. Les dirigeants y avaient notamment pigé 160 millions de dollars pour l’achat de 35 villas de luxe à Dubaï.
Pour un pays qui tire 70 % de son budget national des donateurs internationaux, ces millions volés venaient d’où, pensez-vous? Conscient de tout cela, le Canada a malgré tout promis l’été dernier de prolonger jusqu’en 2020 son soutien à l’afghanistan à coup d’environ 150 millions de dollars par année. Un peu plus du tiers ira aux forces de sécurité afghanes et les deux autres tiers en aide au développement.
UNE CONFIANCE EN LAMBEAUX
Le problème fondamental que relève Transparency International tient au fait qu’en plus de souffrir du manque de services de base, les Afghans – comme les Nigérians, les Irakiens, les Libyens et tant d’autres peuples, frustrés par des leaders corrompus – se laissent envoûter par les promesses d’intégrité et de justice de groupes extrémistes.
«Les mouvements radicaux, comme l’état islamique», ont constaté les auteurs du rapport, «s’épanouissent quand les gens perdent foi en ceux qui les gouvernent, quand les responsables profitent de la misère du peuple, quand la police exploite au lieu de protéger et quand les chances d’améliorer son sort sont biaisées en faveur de quelques individus branchés».
Ces «chances biaisées», elles le sont, entre autres, par une générosité mal gérée. Le Sud-soudan, où la famine menace, est aussi ravagé par la guerre civile. Pourtant, les États-unis y ont englouti deux milliards de dollars au cours des trois dernières années, plus de 11 milliards depuis 2005. Il a servi à quoi, tout cet argent?
Transparency International conclut son étude, en déplorant que les gouvernements occidentaux tolèrent des despotes pourris, perçus comme unique alternative au chaos. «Au final, estime L’ONG, ces gouvernements corrompus sont les architectes des prochaines explosions de violence.»