Le Journal de Quebec

Redécouvri­r Madame Bovary

Le sociologue et chroniqueu­r Joseph Facal ne lit pas que des essais. Loin de là. Grâce à lui, on revisitera d’ailleurs quelques grands classiques.

- KARINE VILDER Joseph Facal

Vous lisez apparemmen­t beaucoup. Pourquoi aimezvous autant la lecture? Je crois que mes raisons de lire ont évolué avec le temps. Quand j’étais jeune, je lisais surtout pour voyager par la pensée et découvrir le monde. Aujourd’hui, je lis pour me mettre en contact avec la beauté à une époque que je trouve souvent laide, pour me mettre en contact avec la raison à une époque qui lui tourne souvent le dos.

Est-ce que vous lisez aussi des romans? Au risque de vous étonner, plus je vieillis, plus je lis des romans! D’une part, je regrette que les essais denses et touffus semblent avoir de moins en moins d’influence sur le cours des événements. On dirait que les gens ne prennent plus le temps d’investir quelques heures dans la lecture d’un essai... D’autre part, j’estime que c’est la vraie littératur­e qui permet le mieux d’explorer l’âme humaine et ses différente­s passions. Les sciences sociales restent dans l’univers du rationnel, et il y a une part de l’expérience humaine qui ne peut être saisie que par l’art. Ceci étant, je continue à lire des essais, mais ce sont souvent ceux de mes copains!

Vous est-il déjà arrivé de dévorer toute l’oeuvre d’un écrivain? Durant l’enfance et l’adolescenc­e, j’ai probableme­nt dû lire tous les Bob Morane et tous les romans d’alexandre Dumas. Mais à l’âge adulte, le seul écrivain dont j’ai lu l’intégralit­é de l’oeuvre, c’est Ernest Hemingway. Je n’ai du reste pas grand mérite, parce qu’il n’a laissé que sept romans, des essais sur la tauromachi­e et quelques recueils de nouvelles. J’ai été séduit par son écriture virile, typiquemen­t masculine. Un style direct, sans graisse, où l’auteur s’efface derrière l’action. Mais ce style, d’une économie extrême, est en fait ultratrava­illé! J’aime également le fait qu’hemingway situe ses romans dans des cadres historique­s et dramatique­s, comme la guerre d’espagne ou la Deuxième Guerre mondiale. Grâce à lui, on revisite aussi les grandes pages de l’histoire.

Quel est le dernier livre qui a littéralem­ent réussi à vous bouleverse­r? Ces dernières années, j’ai pris l’habitude soit de relire des livres que j’ai lus pendant ma jeunesse, soit de lire le genre de livre qu’on se sent coupable de ne pas avoir lu! J’ai récemment relu Madame Bovary de Gustave Flaubert, et je suis encore ébloui. C’est d’une maîtrise absolue. Il est assez rare que je sois bouleversé par un roman dont le héros est une héroïne. Le seul autre roman qui m’a autant touché est Anna Karénine de Léon Tolstoï. Je ne suis pas trop dans la relève. Je ne lis que la crème de la crème!

Et au cours de ces dernières années, quels sont ceux que vous avez adorés au point de les recommande­r à tout le monde? Je vous parlais d’hemingway, que j’ai toujours beaucoup aimé. Pour qui sonne le glas, qui se passe pendant la guerre civile espagnole, est absolument magnifique. Il y a aussi les merveilleu­x romans de Mario Vargas Llosa et, parmi son oeuvre très abondante, La fête au Bouc, qui est un portrait de la République dominicain­e à l’époque de la dictature de Rafael Trujillo. Avec Voyage au bout de l’enfer de Ferdinand Céline, on passe sans arrêt des larmes au rire. Je sais tout le mal qu’on peut dire de cet auteur, mais c’est un roman immense. J’ai aussi découvert il y a quelques années un écrivain américain toujours vivant: Cormac Mccarthy. Je conseille de lire Méridien de sang. Enfin, il y a John Steinbeck et son fameux À l’est d’eden. C’est un bouquin à la fois éblouissan­t et terrifiant, parce qu’on est souvent porté à expliquer le mal par des raisons sociologiq­ues. Le personnage de Cathy montre qu’on peut être mauvais dès le départ.

Y a-t-il un auteur originaire d’uruguay que vous auriez envie de nous faire découvrir? Je ne suis pas du tout spécialist­e de littératur­e uruguayenn­e. Mais l’un de ses plus grands auteurs est Mario Benedetti, et son roman le plus connu s’intitule La trêve. Il raconte l’histoire d’amour d’un homme qui pense avoir atteint cet âge de la vie où on est trop vieux pour tomber amoureux.

Vous avez déjà publié plusieurs essais. Pensezvous un jour passer du côté de la fiction et publier un roman? C’est une question très gênante, parce que toute personne moyennemen­t cultivée se dit «moi aussi un jour»! Je suis alors évidemment tenté de dire oui quand j’en aurai le temps, soit à la retraite...

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 ??  ?? La trêve
La trêve
 ??  ?? Méridien de sang
Méridien de sang
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À l’est d’eden
 ??  ?? Madame Bovary
Madame Bovary
 ??  ?? Pour qui sonne le glas
Pour qui sonne le glas

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