Le Journal de Quebec

Des Québécoise­s parlent d’une réalité complexe

Née au Maroc, installée au Québec depuis 1998, la journalist­e indépendan­te Kenza Bennis s’est intéressée à la réalité complexe du port du voile au Québec dans un ouvrage présentant les témoignage­s de 83 femmes — voilées ou non, musulmanes ou non, Québécoi

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Cette question, qui revient souvent dans l’actualité et suscite des débats houleux, la passionne. Elle a donc pris le temps d’interviewe­r longuement 83 femmes musulmanes ou non, voilées ou non, de 17 à 75 ans habitant dans différente­s villes et régions du Québec pour entendre leurs confidence­s à ce sujet.

Kenza Bennis a ensuite fusionné les différents témoignage­s pour faire parler des «personnage­s» fictifs en utilisant les propos recueillis pendant ses entrevues. Les 21 monologues sont percutants: une femme rappelle les atrocités de la guerre civile en Algérie, une autre fait un parallèle avec les années de la Grande noirceur où les femmes québécoise­s devaient se soumettre aux ordres des curés, une femme voilée raconte se faire insulter dans la rue.

«J’ai grandi au Maroc et je suis arrivée adulte au Québec. Ma famille est là-bas. Le voile, ça fait longtemps que j’y réfléchis parce que j’ai assisté, en fait, aux transforma­tions sociales. Ça ne faisait pas du tout partie de mon paysage quand j’étais jeune. Le hijab comme on voit aujourd’hui — le foulard serré autour du visage — c’est quelque chose de moderne. J’ai grandi à Casablanca et personne ne portait ça», dit Kenza Bennis en entrevue. Après avoir fait ses études en France, elle est rentrée au Maroc et a observé que le voile était apparu dans les rues. «Je trouvais ça inquiétant parce qu’il y avait une guerre civile chez nos voisins algériens. On entendait parler d’intégrisme, que les femmes se faisaient agresser. Mettons que je n’avais pas une super opinion du voile.»

« débat très émotif »

Son arrivée au Québec s’est bien passée. Puis il y a eu le 11 septembre 2001. «On a commencé à beaucoup parler des musulmans, de l’islamisme, de l’islam, de beaucoup de choses. Est arrivé le débat sur les accommodem­ents raisonnabl­es. Après, celui sur la charte des valeurs québécoise­s. Plus les années avançaient, plus

je me disais: on débat, on se déchire sur ce sujet parce que le débat est très émotif et très polarisé.»

«Ou t’entends: c’est leur choix, c’est leur problème. Qu’elles portent le voile. Ou t’entends: non, elles sont obligées de le porter, ce sont des islamistes, ce sont des intégriste­s. Entre ces deux positions, je trouvais qu’on n’entendait rien. Je voulais en avoir le coeur net: je me disais, j’apprends pas grand-chose, à part qu’on se déchire tout le monde et c’est franchemen­t malsain pour notre climat social.»

Kenza Bennis ne pense pas que tout le monde doit être d’accord sur le sujet. Mais elle voulait savoir ce que c’était que cette histoire de voile, ce que ça représenta­it et qui étaient les Québécoise­s musulmanes qui le portent. Pourquoi elles le portent. «Et comment les autres les per- çoivent et pourquoi on se chicane.»

réalité complexe

Ses conclusion­s démontrent que le Québec fait face à une réalité complexe. Il n’y a pas une femme voilée, mais «des femmes voilées». «Quand on débat du voile, on ne parle pas des femmes voilées dans la réalité. On parle de nos peurs et de nos histoires collective­s et individuel­les. (...) Je ne sais pas si on peut arriver à un consensus, mais je pense qu’on peut arriver à apaiser un peu plus les tensions si on est capable de se parler.» » La journalist­e indépendan­te Kenza Bennis est originaire du Maroc.

» Elle s’est établie au Québec en 1998.

» Elle a été responsabl­e des pages Société du magazine Elle Québec.

Kenza Bennis Les monologues du voile Éditions Robert-laffont, 180 pages

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