Le Journal de Quebec

Rester vivante

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D’un drame terrible, on peut tirer de la joie, et la souffrance sait aussi côtoyer la douceur. Quand, en plus, un auteur trouve les mots pour le raconter, cela donne un magnifique récit: Étincelle, de Michèle Plomer. Depuis sa parution à l’automne, il a été partout vanté. Rien d’étonnant qu’il soit maintenant finaliste dans la catégorie Romans québécois du Prix des libraires du Québec 2017, qui sera remis en mai.

Michèle Plomer, grande amoureuse de la Chine qui lui a servi dans ses romans précédents, a choisi cette fois d’explorer un volet plus sombre de ses expérience­s chinoises: ce moment affreux où sa belle, sa grande amie Shen Song sera brûlée vive dans son appartemen­t à cause d’une conduite de gaz défectueus­e.

L’histoire est vraie. Les détails ont été juste assez modifiés pour brouiller les pistes, mais tous les sentiments, toutes les remises en question qui entoureron­t cet accident sont là, intacts.

L’auteure se fait narratrice et nous suivons avec elle la lente résurrecti­on de Song, brûlée sur 82 % de son corps. Ce livre est donc d’abord un hommage à l’incroyable force d’une jeune femme de 23 ans, déterminée à vivre et à le faire avec plaisir plutôt qu’à se laisser anéantir par ses indicibles douleurs. Elle avait raison la belle Song, car l’amour l’attendra au détour.

Mais l’admiration avec laquelle son combat est relaté fait aussi d’étincelle une véritable ode à l’amitié, plus solide, plus prenante que bien des amours. D’ailleurs Michèle, Michèo comme on dit là-bas, est plus que choquée par la tragédie de son amie, elle s’en sent coupable. C’est son repas d’anniversai­re à elle que Song préparait au moment de l’explosion, alors même qu’elle était absente, dans les bras d’un fougueux amoureux. Donc si elle avait été là, elle y serait aussi passée? Et si elle avait dit à Song de ne pas cuisiner, le drame n’aurait pas eu lieu? Et si… Ces tourments rongent Michèle, pendant psychologi­que des douleurs physiques de la belle Song.

COMPLEXE RÉALITÉ

On apprendra finalement que l’explosion est due aux lacunes de la gestion de l’immeuble, donc au Parti communiste, qui dirige tout et n’assume rien. C’est l’autre volet bouleversa­nt de ce livre qui l’est déjà beaucoup: la découverte d’un régime implacable envers ses citoyens, jusque dans les moindres détails. Michèle, Occidental­e qui enseigne en Chine, y est confrontée pour la première fois. Mais elle mesurera aussi la résistance silencieus­e de ceux qui ont choisi d’entourer Song. La dureté n’a pas tout tué.

Et la plus belle figure de cette lutte contre le système sera le père de Song. Un homme fruste qui n’a rien d’un rebelle, mais qui aime sa fille. Il la défendra donc jusqu’au bout, en faisant fi des conséquenc­es. Rarement l’amour paternel est aussi justement décrit.

Et on se dit, en terminant ce récit qui multiplie les leçons de vie, qu’au fond, il n’y a pas que Michèo qui a une amie d’exception: Song aussi.

Étincelle Michèle Plomer Éditions Marchand de feuilles 306 pages 2016

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