Dur métier
Les réseaux sociaux ne sont pas faits pour les âmes sensibles et ceux qui, derrière une carapace rugueuse, sont en déficit d’estime de soi.
Une des vedettes du féminisme ultraradical, Judith Lussier, jette l’éponge. Elle ne supporte plus les insultes de ceux qui, comme elle, se servent des réseaux sociaux comme un terrain de guerre. Elle abandonne donc sa collaboration au journal Métro.
Citons La Fontaine. Un mal qui répand la terreur,/mal que le Ciel en sa fureur/ Inventa pour punir les crimes de la terre,/ La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),/…/faisait aux animaux la guerre.
La peste s’appelle aujourd’hui les trolls. Mais aussi tous ces militants aveuglés, enragés, intellectuellement limités qui sévissent sur la Toile où ils accèdent au plaisir pervers de la cruauté des faibles.
Les chroniqueurs de métier, comme tous les animaux de La Fontaine, sont atteints également par cette peste. Ils ont désormais un statut qui s’apparente à celui de correspondant de guerre. On tire à boulets rouges sur eux. On les insulte; on les diffame. Et des trolls qui les connaissent personnellement se rappellent à leurs mauvais souvenirs.
DIFFUSION ILLIMITÉE
Ce phénomène est généralisé. Rappelons qu’avant internet, les offenseurs existaient. Mais sans la technologie actuelle, la diffusion de l’infamie était forcément limitée.
Judith Lussier, celle-là même qui s’exprime depuis des années au lanceflamme, traite d’hétérosexistes les femmes qui font l’éloge de la maternité. Cette même militante affirme aussi que l’allaitement est le symbole de l’esclavage. Ses propos si pondérés, si respectueux et si délicats déclenchent des réactions violentes. Elle est devenue la «chouchoute» des trolls, si l’on peut s’exprimer ainsi.
Tout au début de ma carrière, un vieux confrère de Radio-canada (Paul-Émile Tremblay, pour les lecteurs plus âgés) m’avait surprise en pleurs après une entrevue qui m’avait valu des critiques. «Pour faire un métier public, il faut être blindé psychologiquement. Sans quoi, ma petite, il te faut quitter la télévision», m’avait-il conseillé affectueusement.
Les réseaux sociaux ne sont pas faits pour les âmes sensibles et ceux qui, derrière une carapace rugueuse, sont en déficit d’estime de soi.
RESPECT
Les blogueurs qui font métier de hérisser et de provoquer leurs lecteurs doivent bien comprendre que l’objectif n’est pas de se faire aimer, mais respecter. L’amour est un sentiment partagé avec des intimes.
Les technologies actuelles ont des effets pervers imprévisibles lors de l’invention d’internet, cette Toile qu’on sanctifiait et dont on annonçait qu’elle deviendrait le porche de cette église universelle mondialiste qui allait nous rapprocher. Les angéliques assuraient que les réseaux sociaux atténueraient nos différences et joueraient un rôle pacificateur. Quelle utopie!
L’homme est né bon, disait Jean-jacques Rousseau, mais c’est la société qui le corrompt. Il avait tout faux. Voltaire, qui se moquait cruellement de Rousseau, avait une vision moins béate et plus réaliste de l’homme. Nous vivons une époque tourmentée, où seuls les forts survivent. Où les sages sont armés pour guerroyer contre tous les frustrés de la terre, donc de la Toile.
Pour survivre dans cette jungle réseautée, il faut s’attendre au pire et ne pas se laisser berner par des fans- amis de Facebook. Et il faut surtout s’appuyer sur quelques valeurs et des convictions qui méritent d’être assumées publiquement.