François, quatre ans plus tard
Il y a quatre ans, l’église catholique se donnait un premier pape américain. Jorge Mario Bergoglio, l’archevêque de Buenos Aires, succédait à Benoît XVI, épuisé, malade et débordé par une institution ébranlée par les scandales et les intrigues. Le pape François n’a pas fait le grand ménage que plusieurs attendaient de lui. Pire encore, la résistance a même trouvé une place au sommet de la première puissance mondiale.
Le Québec laïc porte un regard blasé sur les affaires et les manigances du Vatican. C’est une erreur, parce que le pape a, dans certains pays, autant d’influence que les leaders locaux. Son autorité morale est recherchée et respectée, non pas tant par vénération béate de son statut de «vicaire du Christ», mais parce que face aux immenses défis auxquels nos sociétés sont confrontées (exode de migrants, radicalisation islamiste, perturbations engendrées par la mondialisation), il n’est pas mauvais d’entendre d’autres voix que celles des comptables.
L’église de Rome, pour le meilleur et pour le pire, apparaît immuable et fondamentalement réfractaire au changement. François est, malgré tout, parvenu à la faire légèrement pencher de son côté. Il a écarté un certain nombre de traditionalistes, dont le cardinal Raymond Burke: je vais y revenir. Le pape a aussi pris la défense des migrants, appelé à lutter contre les changements climatiques et sollicité une attention accrue au sort des plus pauvres.
ÂMES PRUDES, S’ABSTENIR
Concrètement, il a ouvert la voie à la distribution de la communion aux divorcés remariés. Il vient tout juste, dans une interview au quotidien allemand Die Zeit, de se montrer réceptif à l’idée d’ordonner des hommes mariés pour servir dans des communautés éloignées confrontées à une pénurie de prêtres. Et sans montrer quiconque du doigt, il a lancé, le mois dernier, un appel «à ne pas créer de murs, mais à construire des ponts».
Du temps de la présidence Obama, François avait ses entrées à la MaisonBlanche. Obama qui, au mieux, était religieux pour la forme et la tradition, partageait avec le prêtre argentin sa défense de l’environnement et sa volonté de réduire les inégalités aux États-unis et de par le monde. Un tout autre homme s’affaire aujourd’hui dans le Bureau ovale.
TIRER LE DIABLE PAR LA QUEUE
Il y a Donald Trump, bien sûr, mais il n’est pas seul dans le portrait. Steve Bannon, son plus proche conseiller, est un catholique qui, à son tour, a ses entrées au Vatican. Le New York Times racontait, il y a quelques semaines, l’impact qu’avait eu sur Bannon sa rencontre avec le très conservateur cardinal Burke (dont je vous parlais plus tôt): une «expérience incroyablement puissante», selon un ancien collaborateur de Bannon au site web Breitbart.
Burke, ancien archevêque de Saint Louis, s’est révélé, selon les standards du Vatican, un critique virulent du pape. Il s’est vu retirer par François le prestigieux poste de préfet du Tribu- nal suprême de la signature apostolique et il a perdu de son aura.
La nébuleuse coalition anti-françois continue néanmoins de s’activer, pendant que Steve Bannon, lui, fait la promotion de ce «populisme qui pousse à élire des “sauveurs” et à s’entourer de “barbelés”» que dénonçait précisément le pape en janvier au quotidien espagnol El Pais. Traditionalistes à Rome, populistes xénophobes à Washington: quatre ans plus tard, les défis de François sont peut-être encore plus grands qu’à son premier regard du haut du balcon de la place Saint-pierre.