Le Journal de Quebec

Pas question de léguer aux enfants

-

Jian Chang a acheté en 2008 un dépanneur sur la rue de Bordeaux, à Montréal, pour faire comme les autres Chinois. Il réussit à garder son commerce en vie en travaillan­t jour et nuit et ne voit pas comment, avec son français limité, faire autre chose pour gagner sa vie.

Mais neuf ans après son achat, Jian Chang ne veut surtout pas que sa fille de trois ans ou son garçon de six mois reprennent un jour le dépanneur.

«Pas question qu’ils aient notre vie misérable. Le peu qu’on économise va aller à leurs études», dit-il.

Pourquoi alors demeure-t-il dans cette vie qu’il qualifie de misérable? Parce que c’est le mieux qu’il a encore. «Tant que je ne trouve pas un travail qui me permet de gagner plus que ce que je fais ici, je le garde.»

PAS NÉ POUR UN DÉPANNEUR

Quand Jian Chang est venu étudier l’administra­tion des affaires au Collège Lasalle en 2001, c’était pour retourner en Chine avec son diplôme. Mais avec la rencontre de celle qui allait devenir la mère de ses deux enfants, il s’est pris les pieds au Québec. Et le dépanneur s’est vite imposé.

«Comme beaucoup de nouveaux arrivants chinois, j’ai regardé ce que faisaient les Chinois. À Montréal, ceux qui ne veulent pas travailler pour un autre achètent un dépanneur, alors c’est ce que j’ai fait», dit Jian Chang.

Mais avec les profits en baisse depuis 2008, Jian Chang ne peut plus engager d’employé. Alors bien souvent, il travaille de 9 h à 23 h pendant que sa femme s’occupe des enfants.

«Ce n’est pas compliqué, c’est ça ou je ferme», dit-il.

TRAVAIL D’IMMIGRÉ

Comme lui, c’est souvent le couple qui gère seul le commerce. Plusieurs propriétai­res chinois demeurent dans le logement au-dessus du dépanneur pour économiser.

«Aujourd’hui, ouvrir un dépanneur, c’est comme cueillir les fraises l’été. C’est dur et long, de sorte qu’il n’y a parfois que les immigrés qui veulent faire ça», résume Florent Gravel, de l’associatio­n des détaillant­s en alimentati­on.

«Et c’est dans leur mentalité de travailler pour eux, ajoute Dong Mei Guo, courtière immobilièr­e d’origine chinoise. Ce sont souvent des profession­nels qui ne peuvent pas travailler dans leur domaine avec la barrière de la langue, mais qui peuvent facilement opérer un dépanneur.»

DIFFICILE À VENDRE

«Les propriétai­res québécois vieillisse­nt, leurs enfants y ont vécu, ont vu leurs parents y travailler sans cesse, arrêtant de manger ou de regarder leur émission chaque fois qu’un client y entrait jusqu’à 11 h le soir. Pensezvous qu’ils veulent reprendre la business? » demande M. Gravel. Alors ils vendent, bien souvent à rabais. Et ce sont les nouveaux arrivants chinois qui sautent sur ces aubaines.

 ??  ?? En 2008, Jian Chang a regardé ce que les autres Chinois achetaient. Et il s’est payé un dépanneur lui aussi, sur la rue de Bordeaux, à Montréal.
En 2008, Jian Chang a regardé ce que les autres Chinois achetaient. Et il s’est payé un dépanneur lui aussi, sur la rue de Bordeaux, à Montréal.

Newspapers in French

Newspapers from Canada