Le Journal de Quebec

Passer sa vie au dépanneur

- STÉPHAN DUSSAULT

Jian Chuan Gao et Fengxia Li travaillen­t sept jours sur sept depuis 10 ans avec une seule pause à Noël pour souper avec les enfants.

Tous les jours, après avoir fait les courses pour garnir les tablettes du dépanneur, Jian Chuan Gao descend de son logement de la rue de Cadillac pour aller porter le souper à sa femme Fengxia Li, qui travaille dans leur dépanneur en dessous, souvent de l’ouverture à la fermeture.

Tous les jours sauf à Noël, le seul moment de l’année où le couple et leurs deux filles, aujourd’hui de jeunes profession­nelles, soupent ensemble.

PAS LA VIE PRÉVUE

«On s’est habitué, mais c’est une vie qu’on ne souhaite à personne», dit Mme Li. «Engager un employé est impensable. Son salaire est l’équivalent du profit qu’on fait», explique M. Gao.

Lorsqu’ils ont quitté leur Chine natale en 2002 pour fuir la pollution et offrir une meilleure éducation à leurs filles, ils n’auraient jamais cru que leur parcours au Québec finirait enchaîné à l’épicerie Gibeau, acquise en 2005.

Le conseiller chinois en immigratio­n avait pourtant assuré au mari programmeu­r informatiq­ue et à l’épouse professeur­e de mathématiq­ues, que les perspectiv­es d’emploi étaient radieuses au Canada. Mais sans équivalenc­e d’études et aucune connaissan­ce du français, la côte était trop abrupte.

«Alors on s’est tourné vers ce que font les immigrés chinois, soit acheter un dépanneur», dit Fengxia Li.

Douze ans plus tard, tout ce qui les retient de ne pas vendre leur immeuble, payé environ 200 000 $, «c’est la gentilless­e de nos clients», dit-elle.

Plusieurs sont prêts à aller loin pour les aider, entre autres pour les nombreux vols dont ils sont victimes. Elle montre le numéro de téléphone dans son carnet que le client Guy lui a donné. «La prochaine fois qu’un voleur vient, appelle-moi. Je vais arriver pas mal plus vite que la police», lui a-t-il dit.

Sinon, pourquoi ne pas vendre? Qui va engager des Chinois dans la cinquantai­ne au français approximat­if, se demande le couple. «Et qu’est-ce qu’on fera de nos journées? Après deux semaines, on va peut-être vouloir revenir au dépanneur!» lance Fengxia Li.

QUELQUES ÉCHECS

Si les Chinois font des miracles avec ces commerces difficiles à rentabilis­er, tous n’y arrivent pas. Comme cette immigrée chinoise, qui refuse d’être identifiée, qui a fermé son dépanneur il y a 10 ans et qui travaille dans celui d’une amie sur la rue Dandurand, à Montréal.

«On n’a aucune marge de manoeuvre. Je travaillai­s 16 heures par jour avec mon mari, mais quand mon père est décédé et que j’ai dû me rendre en Chine, ç’a été le coup de grâce».

 ??  ?? Jian Chuan Gao et Fengxia Li dans leur dépanneur de la rue de Cadillac, à Montréal. Lui s’occupe des achats et elle de la caisse.
Jian Chuan Gao et Fengxia Li dans leur dépanneur de la rue de Cadillac, à Montréal. Lui s’occupe des achats et elle de la caisse.

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