Le Journal de Quebec

De la post-vérité à l’assemblée nationale

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Notre ère politique est de plus en plus qualifiée de post-factuelle. Le terme post-vérité s’impose. Certains élus québécois ont semblé vouloir confirmer cette mutation cette semaine.

Post-vérité? On dira qu’il n’y a rien de nouveau ici: le mensonge a toujours existé. Vrai. Sans vouloir idéaliser le passé, il fut tout de même une époque où l’on cherchait au moins à s’entendre sur certains faits de base, élémentair­es, avant de débattre de l’interpréta­tion de ceux-ci.

Quand quelqu’un mentait, ce dernier, quelque part en lui, savait qu’il disait le contraire de la vérité. Puis, à notre époque travaillée au corps par les réseaux sociaux où tout un chacun tend à s’enfermer dans sa propre niche d’intérêts dans le but premier de conforter ses points de vue, on a constaté la progressio­n de ce qu’on appelle en anglais la « bullshit ». Bref, la foutaise. Certains Français parlent de «baratin».

FOUTAISE

Les «foutaisier­s» (permettez-moi un néologisme!) ne croient carrément pas à la vérité en soi et s’accrochent à leurs foutaises.

Le président américain Donald Trump est souvent désigné comme le politicien modèle de l’ère de la postvérité. En campagne, il promettait par exemple de se débarrasse­r du programme appelé «Obamacare». Quelques mois après avoir été assermenté, il prétendit n’avoir jamais promis d'abolir ce programme! Non seulement il ne respecte pas sa promesse, mais il certifie – contre les preuves vidéo nombreuses – qu’il ne l’a jamais faite…

TRUMPISME

On a parfois l’impression que cette dimension du trumpisme est importée chez nous.

Prenons la réaction du ministre des Transports Laurent Lessard aux informatio­ns, tirées du budget déposé par le gouverneme­nt fin mars, selon lesquelles 50 % de nos routes sont dans un état déplorable. «Je me promène au Québec, partout dans toutes les régions du Québec, en général le réseau supérieur va bien», a-t-il rétorqué. Puis il s’est référé à un indice, «le taux de roulement» qu’il entendrait maintenir à 80 %. Pourtant, nulle trace de ce «taux» dans les documents du ministère. On y soutient cependant que l’«indice de rugosité internatio­nal» (IRI), jadis utilisé, lié au confort au roulement, n’était pas suffisant.

Le MTQ a préféré forger un nouvel indice combinant L’IRI, mais en y ajoutant les indices d’orniérage, de fissuratio­n «ainsi que la susceptibi­lité au gel de la chaussée». Verdict: 15 000 de 30 000 km de nos routes sont en mauvais ou en très mauvais état. Réponse de M. Lessard: «Partout au Québec, c'est le cône orange. Il doit bien avoir quelque chose qui s'améliore.»

Le ministre de la Santé Gaétan Barrette a aussi contredit des éléments du budget, cette semaine.

S’appuyant sur une étude de l’institut canadien d’informatio­ns en santé, on peut lire dans le budget Leitao que pour le salaire des médecins, le Québec paie plus que la moyenne canadienne. «Dans cette page sont relayés les résultats d’une analyse incomplète», a soutenu M. Barrette. À qui faut-il se fier? Où est la foutaise ici?

Bien sûr, le mot «post-vérité», l’adjectif «post-factuel» sont en passe d’être galvaudés. Comme l’anglicisme «faits alternatif­s» (ou «contre-faits», comme le suggère le linguiste Lionel Meney!). Ils remplacero­nt bientôt, trop facilement, les termes mensonges, menteur, etc.

Mais si en revanche on s’applique à bien les utiliser, on pourra exprimer ce rejet trop facile, aujourd’hui, du bel idéal d’établir des vérités, des faits communs.

Écrivez-moi à l’adresse antoine. robitaille@quebecorme­dia.com ou sur Dossiersec­ret.journaldem­ontreal.com/ dossiers-secrets.

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Le ministre Lessard a vraiment dit «Partout au Québec, c'est le cône orange. Il doit bien avoir quelque chose qui s'améliore.»

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