La langue en fumée
J’ai failli devenir stone jeudi en marchant le long de l’avenue MontRoyal, car en plus de la bruine, une âcre fumée demeurait en suspension dans l’air. Normal, puisque 6000 personnes s’étaient donné rendez-vous sur la montagne pour fumer en coeur avant que la loi ne l’autorise.
J’imagine que tous les poteux vont avoir la nostalgie du temps où le cannabis était une drogue illicite lorsqu’ils pourront enfin le faire en toute et banale légalité.
À Ottawa, ils étaient 12 000 personnes, des jeunes surtout, au regard extatique. Des activistes dénonçaient Justin Trudeau, car ils considèrent son projet de loi trop mou. Ces militants s’opposent aux restrictions quant à la vente, aux sentences sévères prévues en cas de vente aux mineurs et aux limitations imposées à ceux qui conduisent sous influence.
LANGUE MALMENÉE
En voyant défiler à Montréal ces jeunes, visiblement heureux de communier à la même substance, j’écoutais leurs échanges. Je portais surtout attention à la langue dans laquelle ils s’exprimaient. Ils parlaient comme Donald Trump à propos du Canada. C’était une catastrophe. Avec ou sans cannabis, leur vocabulaire est fumeux, la syntaxe confuse et le débit hachuré et sans respiration. Quant à l’accent tonique, qui en français porte sur la dernière syllabe ou l’avant-dernière si la dernière est muette, il est cul par-dessus tête, entravant toute fluidité de la langue. On imagine que cette langue parlée est un miroir de la langue écrite, donc malmenée aussi, quel que soit d’ailleurs le niveau de scolarité.
Ces jeunes ne sachant plus parler et écrire correctement se sont fait voler un héritage auquel ils avaient droit. À quoi sert l’école si elle est incapable de transmettre cette richesse qu’est la capacité de parler et écrire correctement?
Comment expliquer l’absence de révolte chez tous ces Québécois qui depuis des décennies sont les victimes d’un attentat culturel qui aura des conséquences durant toute leur vie?
LANGUE DE QUALITÉ
Durant le printemps érable, des gens sont descendus dans la rue pour protester contre une augmentation des frais de scolarité de quelque trois cents dollars. Combien de Québécois ont alors revendiqué le droit à un enseignement de la langue qui soit de qualité, leur permettant ainsi d’appréhender le monde, d’articuler leur pensée avec cohérence grâce à une écriture ou un vocabulaire riche, de maîtriser une langue vivante, fluide et parfois relativement soutenue?
Pourquoi cet idéal, ce rêve à vrai dire, laisse-t-il tant de gens indifférents? Des gens scolarisés, qui s’emballent pour des niaiseries ou qui défient la liberté de dire n’importe quoi et de n’importe quelle façon.
Les Québécois ont longtemps été admirés à l’étranger pour leur énergie à défendre leur culture et leur langue. L’époque met désormais le frein sur l’identité collective. La célébration de l’individu, ses droits et ses revendications sont à l’ordre du jour. La solidarité, ce n’est plus partager une histoire commune dans le respect d’une langue commune, c’est fumer un joint, se faire des bouffes entre amis ou être lié par la technologie.
À chaque époque ses paradigmes!