Le Journal de Quebec

Comment le français meurt

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- Mathieu Bock-côté au Journal Sociologue, auteur et chroniqueu­r cmathieu. bock-cote @quebecorme­dia.com L@ mbockcote

Dimanche, 13 h environ, je lis dans un café de mon quartier. C’est une vieille habitude à laquelle je suis fidèle. J’apporte ma pile de magazines (oui, en format papier!) et je m’installe.

De temps en temps, je tends l’oreille, mais pas trop. C’est l’avantage des lieux publics. Les dizaines de conversati­ons s’annulent dans un bruit de fond, et finalement, chacun peut s’isoler dans sa bulle pour un moment.

FRANGLAIS

Mais cette fois, ça ne fonctionne pas. À côté de moi, deux charmantes jeunes femmes.

Je les remarque à cause de leur étrange dialecte. Elles parlent français. Puis anglais. Puis français. Puis anglais encore. Au total, le français a sa place, mais l’anglais domine. En gros, elles parlent franglais.

Silencieus­ement, je m’exaspère. Car comment ne pas y voir une manifestat­ion parmi d’autres de notre régression identitair­e?

Surtout que la jeunesse aime le franglais.

Je devine ce que me dirait un bon relativist­e: vivre et laisser vivre! Elles ont bien le droit de faire ce qu’elles veulent!

Ainsi posé, le problème semble insignifia­nt. Mais il ne faut pas le poser ainsi. Tout ne se réduit pas à la logique des droits individuel­s. Qu’on le veuille ou non, rien n’est plus collectif qu’une langue. La langue est politique.

Le franglais révèle un rapport de force: dans la bataille des langues, l’anglais gagne du terrain. Autrement dit, l’anglais mange le français.

Quelqu’un qui parle franglais nous envoie un signal, sans même peut-être s’en rendre compte: le français ne lui suffit pas pour exprimer sa pensée et ses émotions.

Il a besoin de passer à une autre langue pour s’exprimer pleinement. C’est un symptôme de colonialis­me linguistiq­ue.

Ce n’est pas un bilinguism­e enrichissa­nt, mais celui d’un peuple qui ne parvient plus à dire le monde dans sa propre langue. Aujourd’hui, on parle franglais, demain, on se convertira pour de bon à l’anglais. Il faut penser historique­ment. Dans la deuxième moitié du 20e siècle, les Québécois se sont battus pour franciser leur métropole, qui était encore marquée par la Conquête.

Ils ont fait d’immenses progrès jusqu’aux années 1990. Il s’agissait de faire du français la langue commune d’un peuple.

COMBAT

La loi 101, dont nous célébreron­s cette année le 50e anniversai­re, nous a permis de faire d’immenses progrès. Mais manifestem­ent, elle a atteint depuis long- temps son efficacité maximale.

Il faut dire qu’en refusant la souveraine­té en 1995, nous avons renoncé au seul cadre qui aurait pu pérenniser le français.

Chaque fois qu’on nous accueille dans un commerce en nous disant bonjour- hi, c’est l’esprit de la loi 101 qu’on piétine.

Le français n’est qu’une langue sur deux. La langue pauvre. La langue vaincue. Celle qu’un jour, on ne parlera plus. On se suicidera culturelle­ment au nom de la modernité.

À moins de reprendre le combat. Encore une fois. Ce combat qui ne finira jamais. Si nous voulons vivre comme peuple, du moins.

Le voulons-nous encore?

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En refusant la souveraine­té en 1995, nous avons renoncé au seul cadre qui aurait pu pérenniser le français

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