Victime de viol et de l’arrêt Jordan
Une étudiante qui dit avoir été agressée sexuellement n’a plus jamais remis les pieds à l’université
Laura, une jeune femme de 25 ans qui dit avoir a été victime de viol en avril, risque aussi de se retrouver victime de l’arrêt Jordan. Son agresseur allégué est toujours en liberté à cause de la nouvelle règle qui fixe un délai maximal de la durée d’un procès.
La jeune femme de 25 ans, à qui nous donnons un nom fictif pour protéger son identité, est encore traumatisée par la soirée du 4 avril 2017. L’étudiante à la maîtrise s’était rendue chez un collègue de l’université parce qu’ils avaient prévu étudier ensemble.
Il aurait d’abord essayé de l’embras- ser. «Je lui ai dit non au moins cinq fois», explique la jeune femme. Rapidement, il lui aurait enlevé sa culotte et l’aurait prise de force, sans préservatif.
Le 6 avril, elle a déposé une plainte au Service de police de la Ville de Montréal, où on l’a prévenue de s’armer de patience avant l’accusation.
Comme le décompte pour le délai des procédures judiciaires fixées par l’arrêt Jordan est enclenché au dépôt des accusations, la Couronne demande maintenant l’ensemble de la preuve avant de commencer son travail. Auparavant, elle pouvait déposer des accusations plus rapidement, quitte à demander des compléments d’enquête en cours de route.
Cet avertissement a particulièrement découragé Laura. Pendant ce temps, son présumé agresseur continue de fréquenter l’université. Laura n’y a donc plus remis les pieds. Et comme son collègue est un étudiant étranger, elle est particulièrement inquiète qu’il quitte le pays sans même avoir répondu de ses actes.
«Tant qu’il n’est accusé de rien, il est libre de partir et de ne jamais revenir.»
UNIVERSITAIRE INSENSIBLE
La vie de la jeune femme, elle, a commencé à dérailler. L’étudiante a cherché de l’aide auprès de sa directrice de maîtrise à l’université.
«Sans être une amie, c’était quelqu’un de qui j’étais proche et en qui j’avais confiance», dit-elle. Elle a expliqué à la professeure qu’elle ne se sentait plus à l’aise d’assister à ses cours de crainte de revoir son collègue qui l’avait agressée.
«Elle m’a répondu que c’était des choses privées qui ne la concernaient pas et elle m’a suggéré de tourner la page, déplore Laura. […] Elle m’a demandé si j’allais “scrapper” sa vie en l’envoyant en prison et elle a tenté de m’expliquer que c’était impossible pour un jeune né dans un monde macho et violent de ne pas être “fucké” ensuite.»
«Je me suis tellement sentie trahie», ditelle. Trahie au point où elle a commencé à être envahie par des idées noires. Elle s’est alors retrouvée en centre de crise, puis en centre d’hébergement pour femmes pendant près de sept semaines, en proie à un stress post-traumatique, et traitée aux psychotiques, puisque les anxiolytiques n’étaient pas assez puissants.
Depuis, Laura a réussi à changer de directrice de maîtrise. «Et pendant tout ce temps, je suis la seule à vivre avec les conséquences.»
Nous avons pu authentifier la version de Laura par de nombreux courriels, des textos échangés avec le personnel universitaire et l’agresseur, où celui-ci s’excuse de son «comportement déplacé». Nous avons également consulté des documents de la trousse médico-légale et du centre de crise ainsi que des sources policières pour corroborer la version de la victime.