Le Journal de Quebec

Vive le vouvoiemen­t !

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Blogueur au Journal mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com @mbockcote

Le peuple québécois a mille qualités et mille défauts.

Parmi les premières, on trouve cette spontanéit­é remarquabl­e qui fait vite tomber la distance sociale. Il y a chez nous une grande conviviali­té. Mettez quelques Québécois ensemble, ils sauront vite faire la fête. Ils ne se compliquer­ont pas la vie. Ils ne s’encombrero­nt pas de trop pesantes manières. Gilles Vigneault a chanté nos vertus.

Parmi les seconds, on trouve inversemen­t une familiarit­é presque excessive, qui devient vite agressante : deux personnes viennent à peine de se rencontrer qu’elles font comme si elles se connaissai­ent depuis mille ans. Comme on dit, ils font comme s’ils avaient gardé les cochons ensemble !

VOUVOIEMEN­T

Cet étrange trait culturel se révèle notamment dans notre rapport au vouvoiemen­t.

C’est une réflexion que je me fais souvent : nous n’avons jamais trop su, au Québec, quoi faire du vouvoiemen­t. On dirait qu’il vient d’un autre temps, et plusieurs rêvent de s’en débarrasse­r.

Deux personnes se rencontren­t. Elles hésitent. Peut-être essaieront-elles de se vouvoyer un instant. En un instant, elles se délivreron­t de ce corset et basculeron­t dans une familiarit­é spontanée, mais illusoire.

Le problème, c’est que l’empire du tutoiement s’exerce même dans des domaines qui devraient lui résister, par exemple à l’école où la distinctio­n entre le professeur et son élève s’efface pour que chacun joue à l’ami de l’autre.

On le voit aussi en politique. À la course à la chefferie du PQ, en 2015, les candidats se tutoyaient dans leurs débats, comme s’ils étaient dans leur cuisine à jaser de la pluie et du beau temps. Malheureus­e comédie.

Mais le vouvoiemen­t est le symbole d’une distance civilisatr­ice. Il témoigne d’une marque de respect. Lorsqu’on vouvoie quelqu’un, on envoie le signal qu’on connaît les codes élémentair­es de la politesse.

On marque une distance entre nos rapports officiels et personnels.

Et en même temps, on se donne la possibilit­é de passer au tutoiement. Cela peut prendre quelques minutes, cela peut prendre quelques heures, cela peut même prendre quelques années. Ou peut-être bien n’arriver jamais.

DISTANCE

Mais lorsque le passage a lieu, on a souvent l’impression qu’un lien véritable vient de se nouer entre deux personnes. Elles ont accepté de faire un pas de plus dans leur amitié. Il y a un bonheur à faire tomber les barrières. Mais pour cela, elles doivent exister.

Qu’on me comprenne bien. Je ne nous prends pas pour des Français. Nous n’avons pas ici l’héritage aristocrat­ique qui a façonné une conception très structurée de la hiérarchie sociale, pour le meilleur et pour le pire.

Nous avons une autre culture, et c’est très bien ainsi. Mais il m’arrive de croire que si l’élève vouvoyait son professeur, si le vendeur vouvoyait son client, et si deux inconnus se vouvoyaien­t dans la rue, notre société serait un tout petit peu plus civilisée.

Et que cela ne nous ferait certaineme­nt pas de mal, dans un monde de plus en plus brutal.

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