De plus en plus de patients accros
La forte augmentation des prescriptions d’opioïdes au Québec inquiète les médecins et les pharmaciens
Alors que les prescriptions d’opioïdes, ces puissants médicaments qui traitent la douleur, ont bondi de 22 % en seulement trois ans au Québec, des médecins s’inquiètent de voir de plus en plus de patients devenir dépendants.
« C’est un peu épeurant, les données, ça monte encore », réagit la Dre Marie-ève Goyer, médecin de famille spécialisée auprès de patients narcomanes.
« Il y a comme une nouvelle épidémie des opioïdes qu’on n’avait pas avant », dit-elle.
De 2013 à 2016, le nombre total de prescriptions pour cinq opioïdes (fentanyl, hydromorphone, morphine, méthadone et oxycodone) est passé de 2 millions, à près de 2,5 millions (+22 %). Ce bilan a été compilé par Le Journal grâce aux données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).
L’an dernier, la facture pour ces cinq médicaments a atteint 52,9 M$ (voir tableaux en page 4). L’hydromorphone (+34 %) et la morphine (+32 %) ont obtenu les plus fortes hausses d’ordonnances. Bien que la population vieillisse, cet aspect ne peut expliquer à lui seul ce phénomène.
DÉPENDANCE
Alors que les surdoses mortelles d’opioïdes (dont le fentanyl) font des ravages auprès des toxicomanes ailleurs au pays, les opioïdes prescrits par des médecins québécois créent aussi une dépendance que plusieurs peinent à surmonter (voir texte en page 6).
Généralement, ces puissants opiacés sont donnés aux patients après une intervention chirurgicale ou pour une douleur chronique (maux de dos, arthrite, etc.). Or, les médecins voient de plus en plus de patients devenus carrément dépendants de leur médication.
« Depuis 10 ou 15 ans, il y a eu une banalisation du traitement de la douleur chronique, et les compagnies pharmaceutiques disaient que ça ne donnait pas de dépendance, dit le Dr Jean-pierre Chiasson, spécialisé dans le domaine. Plus on donnait des opiacés, plus les patients avaient mal. C’est complexe, les maladies chroniques, et c’est multifactoriel. »
« CERTAINE EUPHORIE »
« Il n’y a pas juste des bénéfices. Ça crée des effets secondaires, une certaine euphorie qui va au-delà du soulagement physique. Plein de gens sont devenus dépendants », constate aussi la Dre Goyer.
« Leur vie devient centrée sur leurs narcotiques. Ils vont voir trois ou quatre docteurs, s’obstinent avec le pharmacien », dit-elle.
D’ailleurs, les ordres professionnels veulent améliorer le contrôle des prescriptions (voir autre texte).
« Mais, l’épidémie est faite. On ne peut pas revenir en arrière », soutient le Dr Chiasson.
Lorsqu’un patient est accro, un traitement à la méthadone est offert pour contrer la dépendance. Souvent, le malade prend ce médicament pour le reste de sa vie. Les prescriptions pour ce traitement ont haussé de 14 % en trois ans.
« Ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Mais ça explique que, malheureusement, on est obligés de contrecarrer l’effet des dernières années », dit le Dr Yves Robert, du Collège des médecins du Québec (CMQ). À ce jour, 323 médecins ont l’exemption du CMQ pour prescrire la méthadone, ce qui cause des délais.
« Les médecins commencent à être mieux conscients des risques, dit la Dre Goyer. [...] Mais il y a encore pas mal d’années avant de rattraper tous ces patients-là, et qu’on voie les bénéfices. »