Le Journal de Quebec

« Je m’ennuie d’elle »

– Gregory Charles

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Mi-juin 1997. C’est la dernière journée de répétition d’ent’cadieux, dont Marie-soleil Tougas fait partie depuis l’hiver dernier dans le rôle de Julie Deslaurier­s. Aujourd’hui, elle n’a pas sa bonne humeur habituelle. Elle est perplexe et rêveuse. La connaissan­t depuis qu’elle a 11 ans alors qu’elle était Zoé dans Peau de banane, je vois tout de suite que ça ne tourne pas rond dans sa vie.

Elle m’invite à boire un café. Comme il est presque midi, pourquoi ne pas casser la croûte ensemble ? Nous nous retrouvons donc dans un coin discret de la cafétéria de TVA devant un sandwich et une soupe.

Sans prendre de détours, Marie-soleil me confie qu’elle pense à quitter Jean-claude Lauzon pour de bon. Sa liaison avec le réalisateu­r est marquée depuis le début de ruptures douloureus­es et de reprises incertaine­s. Jean-claude n’est pas reposant. Aussi intelligen­t que doué, il peut être têtu comme un âne et changeant comme la météo. Il peut aussi se montrer brusque et intempesti­f. Il est aussi imprévisib­le avec sa blonde qu’avec ses amis. D’autres fois, c’est une soie.

SA COLÈRE CANNOISE

En 1992, son film, Léolo, est en compétitio­n au Festival de Cannes. Malgré des qualités exceptionn­elles – le magazine Time l’a classé parmi les 100 meilleurs films de tous les temps –, Léolo sort bredouille du festival. Jean-claude est si furieux qu’il décide de ne pas assister à la première de Léolo à Paris et de revenir précipitam­ment à Montréal. Aimée Danis, la productric­e du film, est catastroph­ée. Comme je suis à Paris, elle me demande d’essayer de lui faire entendre raison.

Je lunche avec lui au Bar des Théâtres, rue Jean-goujon. En toute fin d’après-midi, après cent coups de gueule, mille sacres et jurons tonitruant­s, Jean-claude finit par changer d’idée. Ses bouderies et ses sautes d’humeur sont l’histoire de notre camaraderi­e depuis plus de 20 ans. Je comprends donc très bien ce que Marie-soleil peut vivre.

Lui conseiller de ne pas passer l’été avec Jean-claude comme il lui demande avec insistance ? Lui recommande­r même de rompre définitive­ment ? Je suis tenté de lui soumettre l’une ou l’autre de ces hypothèses, mais je sens que Marie-soleil n’est pas prête à poser un geste aussi brutal. Elle est encore très amoureuse et, comme bien des filles qui croient en l’amour salvateur, elle est captivée par cet amoureux délinquant, qui joue au « bum » pour masquer sa fragilité.

UN ULTIME SURSIS

Nous convenons d’un compromis. Avant de partir avec Jean-claude pour le voyage de pêche qu’il projette dans le Nord-du-québec avec ses amis Gaston Lepage et Patrice Lécuyer, elle lui dira que ce sera la fin de leur liaison s’il ne change pas d’attitude avec elle.

C’est ainsi que quelques semaines plus tard, un Cessna 180K s’envole, d’abord vers le camp de Gaston Lepage, près du lac Saint-jean, et ensuite vers les eaux poissonneu­ses du Nunavik. Aux commandes de l’avion, il y a le pilote Lauzon à qui Marie-soleil a donné un ultime sursis.

Quelques jours avant le retour de Jean-claude et Marie-soleil et de leurs compagnons de pêche, Louise Laparé, qui les a accompagné­s pour un bout, me téléphone. Elle me dit que Marie-soleil ne lui a jamais paru aussi heureuse. Et Jean-claude ? « Il n’a jamais été aussi gentil avec elle. »

Sans ce téléphone, j’aurais regretté toute ma vie d’avoir encouragé Marie-soleil à donner à Jean-claude une dernière chance.

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