Le Journal de Quebec

Se battre pour rendre la mort plus vivable

Le Dr Pierre Viens a choisi de consacrer ses dernières années de carrière à améliorer l’aide médicale à mourir

- Pierre-paul Biron l Pierrepaul­biron

Un médecin de 80 ans de Portneuf a choisi d’orienter sa pratique exclusivem­ent vers l’aide médicale à mourir, faisant de ses dernières années de carrière un combat pour s’assurer que « ceux qui la souhaitent et la méritent » y aient droit.

Le Dr Pierre Viens a été marqué par son tout premier cas d’aide médicale à mourir qui remonte au printemps 2016. Une expérience qui lui a fait dire « qu’il ne serait plus jamais le même ».

Au fil des 25 procédures d’aide médicale à mourir qu’il a menées jusqu’à aujourd’hui, le Dr Viens a côtoyé de près la loi adoptée en décembre 2015. Une loi attendue qu’il décrit avec le recul comme étant « un vrai champ de mines ».

« Certaines personnes qui ont rédigé la loi et qui étaient contre semblent s’être arrangées pour y introduire le maximum de jambettes pour s’assurer que le minimum de personnes y ait accès », déplore le médecin qui a plus de 50 ans de pratique.

NOMBREUSES EMBÛCHES

Ces jambettes, ce sont les six conditions auxquelles le patient doit satisfaire jusque dans les secondes précédant les injections qui mettront un terme à ses souffrance­s (voir encadré). Si certaines questions sont logiques et légitimes, d’autres soulèvent l’ire du Dr Viens. Ce dernier critique trois conditions qui feraient complèteme­nt abstractio­n « des réalités du mourir ». Oui, le patient doit être apte à décider, mais on ne peut lui exiger d’être compétent cognitivem­ent jusqu’à la dernière seconde, d’après le médecin.

« MÉCONNAISS­ANCE COMPLÈTE »

« Ça, c’est de la merde. C’est une méconnaiss­ance complète de ce qu’est le mécanisme habituel de mourir, surtout chez les patients cancéreux en phase terminale », s’indigne le profession­nel de la santé, qui explique que des patients refusent même des soins de confort en raison d’une crainte maladive de l’inaptitude. « Ils préfèrent souffrir le martyre dans les derniers jours de leur vie pour être capables de satisfaire à une condition ridicule. Ça, c’est inhumain. »

La semaine dernière à Montréal, un homme de 59 ans atteint d’un cancer généralisé s’est enlevé la vie en s’immolant dans son véhicule après avoir essuyé deux refus à l’aide médicale à mourir.

Le Dr Viens en a aussi contre la notion de fin de vie qui élimine d’office certains patients qui souffrent notamment de maladies neurodégén­ératives. Ces gens, qui s’enferment progressiv­ement dans leur corps à mesure que la maladie gagne du terrain, sont condamnés « à endurer leur sort », dénonce le médecin.

« La personne constate que ce qu’il lui reste de vie ne fait plus aucun sens. Le reste de sa vie, elle est condamnée à se dégrader peu à peu ; à passer 24 heures par jour à regarder le plafond en se disant que demain peut juste être pire. Ce n’est pas ça la vie », insiste-t-il.

« Vingt-cinq pour cent des gens seront atteint d’alzheimer ou de démence à la fin de leur vie. Statistiqu­e Canada prévoit que ça passera à 30 % bientôt. Quand on sait ce qu’implique l’alzheimer, est-ce qu’on attend de rentrer la tête directe dans le mur pour réagir? Est-ce qu’on attend que ça soit un sur deux ? C’est là que la loi doit changer. Il ne faut permettre la demande d’aide à mourir de façon anticipée que lorsqu’on constate que de façon irréversib­le, le patient ne sera plus capable de prendre des décisions. »

LOURDEUR BUREAUCRAT­IQUE

Seul médecin de Portneuf à pratiquer l’aide médicale à mourir, le Dr Viens déplore que cette pratique soit incompatib­le avec les obligation­s quotidienn­es de ses collègues.

« De l’objection de conscience, il n’y en a pas tant que ça. C’est de l’objection de convenance qu’on voit. Pour répondre à une demande, tu dois être en priorité là-dessus pendant plusieurs jours. Pendant ce temps-là, si tu as un agenda de clinique avec 25 patients par jour, faut que tu claires ta clinique ? Ça ne se peut pas », insiste le docteur.

Il se bat donc jour après jour pour forcer le gouverneme­nt à trouver des façons de travailler dans l’intérêt du patient qui se meurt.

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Le Dr Pierre Viens a été marqué par son tout premier cas d’aide médicale à mourir qui remonte au printemps 2016. Une expérience qui lui a fait dire « qu’il ne serait plus jamais le même ». PHOTO PIERRE-PAUL BIRON
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