Peur sur la ville
BARCELONE | Disons-le clairement : un référendum dans des conditions normales sera impossible.
Madrid voulait faire dérailler l’exercice : c’est largement réussi.
On spécule beaucoup sur ce qui se passera après le 1er octobre.
Excusez-moi, mais après avoir parlé à des tas de jeunes, pacifiques, mais déterminés, la question prioritaire pour moi est de savoir s’il y aura de la violence le 1er octobre.
Le gouvernement catalan ne recule pas d’un millimètre et dit aux gens : allez voter, tout se passera normalement.
Le gouvernement espagnol dit aux gens : restez à la maison et il ordonne à la police d’imposer sa loi.
VOTER OÙ ?
Chez nous, on vote à l’école publique ou au centre communautaire le plus proche.
J’ai pris l’adresse de mon hôtel et, faisant comme si j’étais un électeur, j’ai demandé autour de moi où était le lieu de votation me correspondant. Aucune réponse claire.
On m’a dit de fouiller sur internet, mais les sites pullulent, ouvrent et ferment parce que Madrid et Barcelone se livrent une cyberguérilla.
Je m’en vais, hier après-midi, à l’université de Barcelone. Sur la rue, des étudiants ont installé des tables où ils distribuent de l’information sur les lieux de votation.
Ce sont des étudiants qui font ce boulot.
Je donne l’adresse de l’hôtel. Une jeune fille me donne les trois adresses des lieux de votation les plus susceptibles de correspondre. Elle s’excuse de ne pouvoir faire mieux.
Je lui dis que les tribunaux ont ordonné la fermeture des écoles et l’établissement d’un périmètre interdisant tout vote dans un rayon de 100 mètres autour de celles-ci.
Des gens tenteront, me dit-elle, d’y accéder la nuit précédente pour les ouvrir de l’intérieur.
Mon coeur de père se serre : je lui dis de ne pas commettre une bêtise imprudente.
Plus tard en soirée, on me donne une autre adresse électronique : les citoyens espagnols introduisent leur numéro d’identité nationale et le lieu de votation apparaît.
DIVISION
Le parti souverainiste d’extrême gauche CUP a commencé à envoyer des groupes de bénévoles, souvent des parents d’écoliers, pour garder ouvertes ces écoles que la police veut fermer.
En guise de symbole, ils brandissent les clés.
Un vote électronique ? Hypothèse forte il y a 48 heures, elle semble écartée.
On sait enfin à quoi ressemblent les urnes. Seront-elles saisies d’ici à dimanche ? Mystère.
Où sont les nouveaux bulletins de vote ? Les gens les imprimeront-ils chez eux ? Mystère.
Les manifestations pacifiques des 20 et 21 septembre viennent d’être qualifiées par la justice espagnole d’« alzamiento tumultuario » (soulèvement tumultueux), donc assimilables à de la sédition passible de sanctions légales.
Contre l’indépendance, mais accablé par la maladresse de Madrid, un vieil ami me rappelait la sinistre phrase du général Espartero : il faudrait bombarder Barcelone aux 50 ans pour qu’elle comprenne bien.
Attention cependant de ne pas tout voir en noir et blanc.
Hier, je rentre dans une petite mercerie pour acheter quelques paires de bas. Je n’avais pas remarqué que, sur les bas choisis, il y avait un minuscule drapeau espagnol.
Pendant que j’attends pour payer, une dame me dit : « Ah, je vois, Monsieur, que vous n’avez pas peur d’afficher nos couleurs nationales ! Bravo, c’est très bien ! C’est rendu qu’on nous fait sentir honteux d’être Espagnols ! »
Dans les balcons, on ne voit en effet que des drapeaux catalans et des affiches pour le oui.
Comme vous le savez, des policiers du reste de l’espagne ont été envoyés en Catalogne.
Dans diverses localités, quand ils ont pris la route, on les a ovationnés comme une armée nationale partant au front repousser l’envahisseur, ou comme un corps expéditionnaire allant mater une insurrection dans une lointaine colonie exotique de l’empire.
TENSIONS
Les relations sont très tendues entre les corps de police.
La police catalane est dirigée par le major Trapero, devenu un héros après la brillante réaction de ses hommes à la suite des attentats terroristes des 17 et 18 août.
Sans désobéir formellement, la police catalane se traîne les pieds et multiplie les mises en garde sur les dérapages et les difficultés logistiques d’un bouclage complet.
Lors de la dernière réunion de coordination au sommet, Trapero avait envoyé son numéro 2. La signification du geste n’a échappé à personne.
Vous avez vu ces images de fourgonnettes de police dans le port de Barcelone prêtes pour l’action.
Pendant que les touristes batifolent, la peur est tombée sur la ville.