Quand les mots font l’histoire
Êtes-vous déprimé par Trump et Trudeau, même si c’est pour des raisons différentes ?
Courez voir le film Darkest Hour pendant qu’il est encore en version originale.
Il raconte les trois semaines de mai 1940 qui suivent l’accession de Churchill à la fonction de premier ministre.
De deux choses l’une : ce film vous réconfortera parce que si la grandeur a déjà existé, elle peut exister encore, ou il vous découragera parce que vous vous demanderez comment nous en sommes venus à être gouvernés par des gens comme ceux d’aujourd’hui.
Parler pour dire quelque chose, pas pour meubler le silence par des clichés insignifiants.
ABÎME
Toute l’europe est sous la botte nazie. Les États-unis n’offrent aucune aide concrète à la Grande-bretagne, seule face à Hitler.
Quand Neville Chamberlain, dupé par Hitler, est contraint de démissionner, il n’est pas vrai, comme le veut une certaine légende, que tous se tournent vers le vieux lion. Beaucoup disent : surtout pas lui.
Détesté dans son propre parti, qu’il a quitté pour y revenir, Churchill devient premier ministre parce qu’il est le seul conservateur acceptable pour les partis d’opposition.
Non seulement il est vu comme un vire-capot opportuniste, mais sa longue carrière est, jusque-là, jalonnée d’échecs retentissants. Mais il est le seul qui, dès le début, comprend qu’hitler est un danger mortel.
Ce film montre un Churchill angoissé, torturé, sentimental — pas un demi-dieu —, un homme que sa femme réconforte de son mieux, qui doute, qui jongle un temps avec l’idée d’essayer de négocier avec Hitler.
Où est-ce que je veux en venir en évoquant à la fois cet homme et ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ?
Bien sûr, c’est l’énormité de l’enjeu — rien de moins que la survie de la liberté en Europe — qui permet à Churchill de se surpasser et d’entrer dans la légende.
Bien sûr, le talent et la médiocrité se répartissent en proportions égales à toutes les époques.
Bien sûr, un personnage aussi rocambolesque serait impensable à l’ère des médias sociaux, de la rectitude politique et des politiciens qui veulent passer pour des gars « ordinaires ».
MOTS
Mais un trait churchillien donne envie de pleurer devant un tweet de Trump ou une cassette de notre ado attardé d’ottawa.
C’est la capacité du langage à inspirer, à émouvoir, à fortifier, à élever, à faire que la gorge se noue quand on écoute.
C’est l’usage de la langue pour unir et non pour diviser, pour dire du contenu et non pour meubler le silence par des clichés insignifiants.
« Blood, toil, sweat and tears », « Victory. Victory at all costs », « We shall never surrender » : ces mots sont tirés de discours qui ne peuvent être entendus aujourd’hui sans se demander où est passée la grandeur authentique et comment nous avons pu tomber si bas.