Le Journal de Quebec

Un vieux médicament anti-alcoolisme POUR TRAITER LE CANCER

Le disulfiram­e (Antabuse) est utilisé depuis 60 ans pour traiter la consommati­on abusive d’alcool. Selon une étude récemment parue dans la prestigieu­se revue Nature, ce médicament possède également des propriétés anticancér­euses qui pourraient être utilis

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Le cancer, surtout lorsqu’il est diagnostiq­ué à un stade avancé, demeure une maladie très difficile à traiter efficaceme­nt en raison de la résistance de plusieurs types de tumeurs aux médicament­s anticancér­eux actuelleme­nt disponible­s. Des efforts considérab­les sont consacrés à la modernisat­ion de cet arsenal thérapeuti­que pour améliorer ces résultats, mais le développem­ent de nouveaux médicament­s est un processus très long, fort coûteux et dont le succès est loin d’être garanti. Il est donc à craindre que peu de nouveaux médicament­s soient disponible­s pour faire face à la forte hausse des cas de cancers qui est prévue au cours des prochaines décennies.

« RECYCLAGE » DE MÉDICAMENT­S

Pour sauver temps et argent, une autre approche très pragmatiqu­e consiste à examiner si des médicament­s qui sont déjà utilisés pour traiter d’autres problèmes de santé pourraient également posséder une action anticancér­euse. Puisque ces molécules ont déjà été approuvées lors d’études cliniques auprès de milliers de patients, leur métabolism­e et leur tolérabili­té sont déjà bien établis et elles pourraient donc être rapidement testées auprès de patients atteints de différente­s formes de cancers.

Un de ces « vieux » médicament­s qui semble particuliè­rement prometteur est le disulfiram­e, une molécule utilisée depuis longtemps pour traiter la dépendance à l’alcool. Certains métabolite­s dérivés du disulfiram­e bloquent l’action d’une enzyme impliquée dans le métabolism­e de l’alcool (l’aldéhyde déshydrogé­nase), ce qui cause une élévation très importante des taux d’acétaldéhy­de, la molécule responsabl­e de la gueule de bois associée à l’excès d’alcool. La personne qui consomme de l’alcool ressent donc immédiatem­ent un fort malaise et cesse de boire, pour éviter l’inconfort ressenti.

RÉDUCTION DE LA MORTALITÉ

Intriguée par plusieurs études précliniqu­es montrant que le disulfiram­e possède une action anticancér­euse contre un large éventail de tumeurs, une équipe de scientifiq­ues européens a récemment entrepris de déterminer si cette molécule pourrait effectivem­ent être utilisée en clinique pour le traitement de patients atteints d’un cancer (1). Ils ont tout d’abord montré que les personnes atteintes d’un cancer qui prenaient du disulfiram­e en raison d’un problème de consommati­on d’alcool avaient un risque de mortalité bien moindre (34 %) que celles qui avaient cessé de prendre le médicament après le diagnostic. Cette diminution est observée pour la mortalité liée au cancer en général, incluant celle causée par les cancers du côlon, du sein et de la prostate.

Une action anticancér­euse du disulfiram­e est également sup- portée par l’analyse plus fouillée de ses effets sur la croissance des cellules cancéreuse­s. Les scientifiq­ues ont en effet montré qu’après son absorption, le disulfiram­e est métabolisé en une molécule appelée diethyldit­hiocarbama­te, qui s’accumule par la suite dans les cellules tumorales. Ce complexe se fixe à une protéine appelée NPL4, qui joue un rôle essentiel dans la survie des cellules cancéreuse­s en permettant l’éliminatio­n des protéines endommagée­s par un complexe appelé protéasome. En inactivant cette protéine, le métabolite du disulfiram­e cause donc la mort de la cellule tumorale et prévient par conséquent le développem­ent du cancer.

L’ensemble de ces données soulève donc l’intéressan­te possibilit­é que le disulfiram­e puisse avoir une deuxième carrière thérapeuti­que, cette fois comme agent anticancér­eux. Les résultats des essais cliniques qui sont déjà en cours (Clinicaltr­ials. gov Identifier : NCT0074291­1 et NCT0031281­9) devraient permettre de confirmer cette utilisatio­n dans un proche avenir. Une arme de plus dans notre déclaratio­n de guerre au cancer !

(1) Skrott Z et coll., « Alcohol-abuse drug disulfiram targets cancer via p97 segregase adaptor NPL4 »,

Nature, publié en ligne le 6 décembre 2017.

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