Plus graves que les mots eux-mêmes
Je le fais sincèrement à contrecoeur, mais c’est la dernière fois. Je dois répéter les insultes que le président Trump aurait prononcées la semaine dernière à l’égard des immigrants africains et haïtiens. Parce que ce n’est presque plus important de savoir exactement s’il a dit « trous à merde », « pays de merde » ou « maisons de merde ».
On s’entend, ce sont des termes révoltants dans la bouche d’un homme qui, en principe, représente une nation phénoménalement multiethnique de plus de 320 millions d’habitants.
L’amnésie (« m’en souviens plus ! ») ou la surdité (« pas exactement entendu ça ! ») de certains républicains présents dans la pièce ne font pas le poids face au témoignage d’autres républicains et de tous les démocrates qui étaient là et qui jurent avoir entendu ce qu’ils ont entendu.
Donald Trump n’aurait jamais dû employer ces expressions (ou une d’entre elles, tout au moins) et même si, sur le coup, il se réjouissait, dit-on, du fait que son électorat allait être d’accord avec lui, il s’en mord certainement les doigts.
DU PAIN BÉNIT POUR SES ENNEMIS
Il ne s’agissait que de regarder Cory Booker, le sénateur démocrate du New Jersey, griller hier après-midi la secrétaire à la Sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen, devant la commission judiciaire du Sénat américain : « J’avais des larmes de rage quand j’ai appris ce qui s’est dit à cette rencontre. » Nielsen, en passant, était là.
Booker, en criant et en tapant sur son bureau, s’est assuré que les électeurs de gauche, les Africains-américains et les immigrants naturalisés (africains et haïtiens, en particulier) se souviendront de lui quand, si les rumeurs se confirment, il finira par se lancer dans la course à présidence en 2020.
Donald Trump, pour sa part, a essayé de rattraper ce qu’il a pu, en assurant, hier, à la fin d’une rencontre, dans le Bureau ovale, avec le président du Kazakhstan, qu’il voulait accueillir des immigrés « venus de partout ». Fort possible qu’il préfé- rerait un diplômé en médecine du Nigeria plutôt qu’un autre travailleur agricole mexicain ; pas sûr toutefois qu’il sera le dernier à trancher.
UNE GIROUETTE BARRÉE À DROITE
Le compte rendu fouillé qu’une équipe de journalistes du Washington Post est parvenue à établir de la rencontre au cours de laquelle les insultes ont volé montre l’influence des forces anti-immigration autour du président.
Dans un premier temps, Trump, emballé par un projet de réforme de l’immigration soumis par le sénateur démocrate Dick Durbin et le sénateur républicain Lindsay Graham, les avait invités à la Maison-blanche pour sceller l’affaire.
Le temps qu’ils arrivent, certains de ses conseillers se sont appliqués à le faire changer d’avis : Stephen Miller, notamment, le penseur et le rédacteur derrière les décrets anti-immigration si controversés de l’administration Trump, et John Kelly, le chef de cabinet du président, un homme que tout le monde admire pour avoir ramené un semblant de stabilité dans cette Maison-blanche.
Sauf que Kelly, pendant les six premiers mois de la présidence Trump, occupait le poste de secrétaire à la Sécurité intérieure et se vantait constamment d’avoir, mieux que quiconque, fermé les frontières et chassé hors du pays toujours plus de sans-papiers. En matière d’immigration, ce n’est pas un doux lui non plus. Ce que l’on comprend finalement, c’est que les immigrants, illégaux ou non, ont très peu d’amis dans cette Maison-blanche. Les mots blessent, c’est sûr, mais les efforts pour fermer les portes et construire des murs vont continuer de faire beaucoup plus mal.
Les immigrants, illégaux ou non, ont très peu d’amis dans cette Maison-blanche.