Délire sécuritaire
Comme on s’y attendait, les quartiers centraux de Québec ont été paralysés, devenus inhospitaliers pour leurs occupants habituels. La surprise, c’est que ce n’est pas une horde de manifestants violents qui ont pris notre ville en otage. Ce fut plutôt le fait des autorités policières.
C’est un scandale. Depuis des semaines, on fait peur au monde. On a fait fermer des écoles et des CPE et on a incité les commerçants à placarder leurs fenêtres. On a suspendu le travail parlementaire et renvoyé les cols blancs chez eux. Tout ça coûte très cher.
Pourquoi ? Pour une poignée de manifestants, moins nombreux que les journalistes qui les suivaient. Un délire sécuritaire incarné par de bruyants hélicoptères qui ont passé la fin de la semaine à survoler une ville qui n’était plus occupée que par des citoyens qui essayaient de dormir.
MAL BARRÉ
On dira que d’anticiper l’ampleur des mobilisations n’est pas chose aisée. On répondra qu’une armée qui se déplace, ça fait du bruit. Si les protestataires étaient venus nombreux, ils n’auraient pas débarqué à l’anse au Foulon comme les troupes de Wolfe. Vérifier la quantité d’autobus affrétés vers Québec et surveiller les réseaux sociaux, ça se fait par du monde.
Nos services de renseignement policier n’ont donc développé aucun savoir-faire après le Sommet des Amériques et le printemps étudiant. Heureusement qu’on n’a pas affaire à de vrais terroristes, par chez nous. On serait mal barré.
Il est plutôt à craindre que les gens réellement mal intentionnés en auront pris bonne note : cette ville-là est facile à effrayer.
PRÉCAUTION ?
On nous dira également qu’en ces matières, vaut mieux appliquer un principe de saine précaution. Pourtant, dans une société libre et démocratique, on peut bien changer ses habitudes et se barricader face à une menace imminente. Ce n’est toutefois pas légitime de le faire devant une menace hypothétique. Et c’est carrément stupide de le faire pour une menace imaginaire.
Benjamin Franklin disait que ceux qui étaient prêts à renoncer à des libertés essentielles pour un peu de sécurité temporaire ne méritaient ni l’un ni l’autre. On y repense en constatant après coup que la stratégie policière fut finalement de faire assez peur aux gens honnêtes pour les dissuader de se joindre aux manifestations.
Cette société où la libre expression est limitée à un enclos plutôt qu’être un état par défaut, c’est beaucoup plus inquiétant que trois pelés et un tondu habillés en noir.