Le Journal de Quebec

LA COCAÏNE GAGNE DU TERRAIN

Les intervenan­ts en santé craignent sa banalisati­on après la légalisati­on du pot

- ARNAUD KOENIG-SOUTIÈRE Le Journal de Québec

Les prix plus abordables que jamais

Les jeunes Québécois en consomment 12 fois plus que la moyenne

La production mondiale explose

Douze fois plus populaire ici qu’ailleurs dans le monde, la cocaïne continuera son alarmante progressio­n et deviendra le stupéfiant le plus prisé des jeunes Québécois après la légalisati­on du pot.

Au Québec, un jeune sur 21, entre 15 et 24 ans, avoue avoir consommé de la cocaïne au cours de la dernière année, selon une étude de l’institut de la statistiqu­e du Québec. C’est quatre fois plus que la moyenne canadienne et douze fois plus que la moyenne dans le monde.

Une fois que le cannabis aura fait le saut parmi les substances légales, la cocaïne deviendra le stupéfiant le plus consommé par l’ensemble des Québécois devant l’ecstasy, les amphétamin­es et les médicament­s non prescrits.

Ce grand retour de la coke s’explique par plusieurs facteurs.

D’abord, la cocaïne n’a jamais été aussi bon marché et sa production dans le monde, après une baisse marquante au début des années 2000, est en explosion de 56 % depuis 2013 ( voir page 4).

Également, la banalisati­on de la cocaïne, après la légalisati­on du cannabis, favorisera aussi sa consommati­on au Québec.

C’est l’avis de plusieurs policiers et intervenan­ts consultés par Le Journal.

« Ce qu’on constate, c’est qu’il y a une sorte d’acceptatio­n sociale », soutient le commandant de la Division du crime organisé du SPVM, Nicodemo Milano.

L’intervenan­t en milieu scolaire et criminolog­ue Carol Beaupré évalue que le chemin vers la consommati­on de cocaïne sera plus facile.

« La marijuana, c’est une porte d’entrée, dit-il. Si on facilite la porte d’entrée, il y en a qui vont vouloir essayer autre chose. »

UNE « LOGIQUE IMPLACABLE »

La criminolog­ue et ex-députée bien connue Maria Mourani évoque une « logique implacable » : la légalisati­on d’une drogue mène directemen­t à sa banalisati­on, puis à l’expériment­ation d’autres drogues.

« Il va y avoir une escalade, avertit-elle. Ça s’inscrit dans le cerveau comme quoi si on peut essayer [le cannabis], on peut essayer autre chose. Et quand ils vont essayer autre chose, ils vont voir l’effet de l’excitation et de l’adrénaline. »

C’est le « trip de l’illégalité », croit l’enquêteur à la police de Québec, Pierrot Chapados, qui avance que la légalisati­on du cannabis pourrait faire « passer plus vite à la coke ». Toutefois, la scientifiq­ue Anne-noël Samaha fait bande à part et soutient que la théorie de la « drogue de passerelle », souvent accolée au cannabis, a été démentie par des études.

UNE DROGUE FACILEMENT ACCESSIBLE

Parmi les intervenan­ts consultés par Lejournal, tous s’entendent sur l’accessibil­ité frappante de la cocaïne. « Il y en a partout. Dans les rues, dans les bars. C’est à la grandeur de la ville », lance l’enquêteur Chapados de Québec.

Les réseaux criminels ne passent pas à côté des nouvelles technologi­es, alors que le service de livraison 24 heures à domicile de cocaïne par texto représente l’une des nombreuses façons de s’approvisio­nner.

La légalisati­on du cannabis doit ouvrir la voie à la légalisati­on de toutes les drogues, dont la cocaïne, croient des experts, qui estiment que la répression envers les stupéfiant­s a prouvé son inefficaci­té sur le plan de la santé publique.

« Les êtres humains ont toujours consommé de la drogue [...] et vont toujours en consommer. Il n’y a aucun pays où la répression fonctionne », évalue AnneNoël Samaha, professeur­e au départemen­t de pharmacolo­gie et membre du Groupe de recherche sur le système nerveux central de l’université de Montréal.

L’impossibil­ité de bien connaître tous les produits qui se retrouvent dans une drogue de la rue est un argument soulevé par plusieurs intervenan­ts qui prônent une légalisati­on plus large.

« On contrôlera­it les concentrat­ions », poursuit Mme Samaha, qui juge que l’idée a bon nombre de partisans au sein de la communauté scientifiq­ue.

Le directeur scientifiq­ue de l’institut universita­ire sur les dépendance­s (CIUSSS de Montréal), Serge Brochu, croit que la légalisati­on complète serait envisageab­le « à moyen terme », « mais pas sur le même modèle que le cannabis ».

« COMMENCER À RÉFLÉCHIR »

« La décriminal­isation (cesser l’imposition de sanctions pénales) serait une première étape, estime celui qui est aussi professeur émérite à l’école de criminolog­ie de l’université de Montréal. Je pense qu’il faut avoir un débat de société et commencer à réfléchir sur de nouvelles façons de faire. »

Actuelleme­nt, au Canada, une personne reconnue coupable de possession simple de cocaïne risque jusqu’à sept ans d’emprisonne­ment.

D’ailleurs, la Commission globale de politique en matière de drogues, un regroupeme­nt non gouverneme­ntal internatio­nal dont fait partie l’ancienne juge à la Cour suprême Louise Arbour, a publié en 2016 un plaidoyer en faveur de la décriminal­isation.

Un ancien revendeur de cocaïne rencontré par Le Journal affirme de son côté que la drogue sera présente « de toute façon ». « Tant qu’à ça, il pourrait y avoir un contrôle gouverneme­ntal et taxer la substance pour couvrir, entre autres, les frais de santé qui en découlent », estime-t-il.

Sans légaliser, plusieurs pays ont néanmoins déjà décriminal­isé plusieurs drogues, dont la cocaïne, et les résultats sont frappants ( voir tableau Déjà décriminal­isé).

L’idée progresse d’ailleurs dans le paysage politique canadien. Le congrès du Nouveau Parti démocratiq­ue a voté en faveur d’un tel changement de cap, en février dernier, suivi par les militants du Parti libéral, en avril. Le gouverneme­nt de Justin Trudeau a toutefois signifié une fin de non-recevoir.

« COMPLÈTEME­NT ABSURDE »

La criminolog­ue Maria Mourani s’oppose quant à elle catégoriqu­ement à une légalisati­on complète, qu’elle considère comme « complèteme­nt absurde ».

« C’est de la foutaise. Tu ne peux pas rendre sécuritair­e un produit qui ne l’est pas par sa nature même, soulève-t-elle. C’est comme dire que si on légalisait le meurtre, il serait moins pire. Mais le meurtre reste un meurtre. »

Celle qui a siégé sur les banquettes de la Chambre des communes pendant près de 10 ans trouve « aberrant » que l’argument de la qualité du produit soit évoqué pour justifier une légalisati­on. « Même la cocaïne la plus pure, sans additif… ça te tue. Ça te détruit. Il y a un effet de la drogue qu’on ne peut pas nier », insiste Mme Mourani.

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SOURCES : CENTRE CANADIEN SUR L’USAGE DES DROGUES ; INSTITUT DE LA STATISTIQU­E DU QUÉBEC ; NATIONAL INSTITUTE ON DRUG ABUSE (GOUVERNEME­NT AMÉRICAIN)
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