Le Journal de Quebec

Interdit aux Blancs

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Vous pensiez que les opposants à Kanata allaient trop loin en exigeant que seuls des autochtone­s puissent raconter des histoires autochtone­s ? Vous n’avez rien vu.

Il y a des gens qui pensent que seul un artiste visuel autochtone a le droit de faire le portrait d’une éminente personnali­té autochtone.

CHACUN CHEZ SOI

Dans le cadre de sa collection Hommage aux bâtisseurs culturels montréalai­s, la métropole aura bientôt une murale rendant hommage à Alanis Obomsawin, réalisatri­ce autochtone de grand talent, qui a produit plus de 50 oeuvres, entre autres pour L’ONF.

Mais l’appel d’offres de l’organisme MU pour cette murale spécifie bien clairement : « Ce concours s’adresse exclusivem­ent aux artistes profession­nels autochtone­s canadiens ».

En plus d’être discrimina­toire, cette consigne est absurde. C’est comme si on disait aux Blancs qu’ils ne peuvent pas « comprendre » le talent et l’impact de Mme Obomsawin. Qu’ils ne peuvent pas lui rendre hommage. On en est rendu là.

Je dois être très naïve, mais je pense sincèremen­t que la force de l’art, c’est de rassembler les humains. De créer des liens. De voir que malgré nos différence­s, on a quelque chose en commun.

Or, en réservant la confection de cette murale à des artistes autochtone­s, on édifie des murs (excusez le jeu de mots) au lieu d’en abattre.

MESURES COERCITIVE­S ?

Toujours au sujet de l’art autochtone, vendredi, le premier ministre Philippe Couillard a servi toute une leçon à l’aile jeunesse de son parti, qui proposait que « les producteur­s qui feraient plus de place à la diversité (minorités visibles et Autochtone­s) auraient droit à un meilleur financemen­t public lorsqu’ils soumettrai­ent leurs oeuvres à la [SODEC] et au [CALQ] ».

Or le PM a répliqué : « Je résiste beaucoup à l’idée de l’état qui porte un jugement sur une oeuvre artistique. Si on fait du théâtre, par définition, on se met dans la peau de quelqu’un d’autre. »

Cette citation du PM sur le fait de se mettre « dans la peau d’un autre » m’a fait penser à Tomson Highway, le dramaturge cri du Manitoba, qu’on appelle le Michel Tremblay du Nord.

En 2013, dans le Maclean’s, une journalist­e lui avait demandé ce qu’il pensait des metteurs en scène qui avaient peur de l’appropriat­ion culturelle et refusaient de faire jouer ses pièces qui se déroulent dans des réserves autochtone­s par des acteurs blancs.

Il avait répondu : « Je ne veux pas particuliè­rement travailler avec des gens qui ont peur. Et les gens qui pensent ainsi ont peur, ils sont pissous ! Je me sens plus à l’aise avec des gens qui sont braves et courageux. Qui sont politiquem­ent incorrects, pour l’amour de Dieu. J’adore les gens politiquem­ent incorrects. Je veux dire, c’est essentiel pour l’art. »

Et il a ajouté : « Si une lesbienne chinoise noire est engagée pour jouer le rôle d’un chef de réserve indienne, c’est le choix d’un metteur en scène ou d’un producteur et les autres devraient se mêler de leurs oignons. »

Si seulement on avait entendu ça au moment de la controvers­e Kanata !

LA QUESTION QUI TUE

Qu’est-ce qui est le plus progressis­te d’après vous ? La méthode coercitive des jeunes libéraux, des murales interdites aux Blancs, ou la « non-rectitude politique » de Tomson Highway ?

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