Le Journal de Quebec

Lapolio pour combattre le cancer

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Une étude clinique de phase I montre que l’administra­tion d’une forme non virulente du virus de la poliomyéli­te augmente de façon spectacula­ire la survie de patients atteints d’un glioblasto­me de stade avancé.

Les neurones du cerveau humain sont entourés d’un nombre équivalent de cellules de soutien (cellules gliales) qui jouent des rôles très importants dans la transmissi­on de l’influx nerveux. Cette importance est bien illustrée par l’impact dévastateu­r des tumeurs touchant ces cellules gliales (les gliomes) : les patients touchés par la forme la plus fréquente de gliome, les glioblasto­mes, ont une survie généraleme­nt inférieure à 20 mois et de seulement 12 mois chez ceux qui sont frappés par une récidive de ce cancer.

Ce mauvais pronostic est le reflet de l’énorme difficulté de traiter adéquateme­nt ces tumeurs. D’une part, l’excision chirurgica­le complète est difficile à réaliser, car les glioblasto­mes ont un caractère très invasif et s’infiltrent profondéme­nt dans le cerveau. L’éliminatio­n des cellules cancéreuse­s résiduelle­s est également compliquée par la forte résistance de ces tumeurs à la radiothéra­pie et aux médicament­s de chimiothér­apie actuelleme­nt disponible­s. Le développem­ent de nouvelles thérapies est donc absolument essentiel si on espère diminuer le fort taux de mortalité lié à ces cancers.

IMMUNOTHÉR­APIE

Une nouvelle approche pour le traitement de plusieurs types de cancer repose sur l’activation du système immunitair­e, une stratégie qu’on appelle immunothér­apie. L’immunité joue en effet un rôle de premier plan dans notre protection face au cancer, soit en maintenant les cellules précancére­uses dans un état latent et inoffensif, soit en les éliminant directemen­t grâce à l’action des lymphocyte­s T tueurs. Pour progresser, la plupart des cancers doivent donc développer la capacité de supprimer cette immunité naturelle en créant un climat fortement immunosupp­resseur dans l’environnem­ent tumoral. La découverte de médicament­s capables de « réveiller » ce système immunitair­e de façon à lui permettre de combattre le cancer représente donc une approche très novatrice, et qui suscite actuelleme­nt beaucoup d’enthousias­me pour le traitement de divers cancers, en particulie­r le mélanome.

ATTAQUE VIRALE

Les glioblasto­mes ne contiennen­t pas (ou très peu) de cellules immunitair­es résidentes, ce qui rend impossible l’utilisatio­n des immunothér­apies actuelles basées sur l’activation de lymphocyte­s T tueurs présents à proximité des cellules cancéreuse­s. Pour contourner cet obstacle, un groupe de scientifiq­ues ont eu l’astucieuse idée de recruter le système immunitair­e en infectant les cellules cancéreuse­s avec le virus de la poliomyéli­te, un virus qui interagit avec la protéine de surface CD155 présente en grandes quantités à la surface des glioblasto­mes. Les scientifiq­ues ont cependant modifié le poliovirus type 1 atténué (Sabin) avec une portion du rhinovirus type 2 (le virus du rhume) pour éviter l’infection des neurones adjacents.

Les études préliminai­res indiquent que l’infection par ce virus modifié induit la relâche de fragments tumoraux qui provoquent une forte réaction inflammato­ire et une activation soutenue du système immunitair­e, générant des effets cytotoxiqu­es suffisamme­nt importants pour contrer le climat immunosupp­resseur de la tumeur( 1).

Au niveau clinique, les résultats sont vraiment intéressan­ts : une étude clinique de Phase I montre que l’infusion intratumor­ale du virus modifié à l’aide d’un cathéter implanté chirurgica­lement augmente significat­ivement la survie des patients atteints d’une forme récurrente de glioblasto­mes de grade IV : alors qu’en moyenne seulement 4 % de ces patients sont encore en vie après trois ans, pas moins de 21 % de ceux traités avec le virus avaient survécu( 2). Dans certains cas, la réponse est vraiment spectacula­ire : par exemple, une jeune femme qui avait été diagnostiq­uée avec ce cancer en 2012 alors qu’elle entreprena­it ses études pour devenir infirmière est aujourd’hui mariée et travaille comme infirmière diplômée. Par contre, comme c’est le cas pour toutes les formes d’immunothér­apie, certains patients ne répondent pas du tout et un défi majeur pour le développem­ent de ces traitement­s demeure d’élargir la réponse thérapeuti­que positive au plus grand nombre de personnes possibles. (1) Brown MC et coll. Cancer immunother­apy with recombinan­t poliovirus induces IFN-DOminant activation of dendritic cells and tumor antigen-specific CTLS. Sci. Transl. Med. 2017; 9: pii: eaan4220. (2) Desjardins A et coll. Recurrent glioblasto­ma treated with recombinan­t poliovirus. New England J. Medicine, publié en ligne le 28 juin 2018.

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