Comment Legault fut roulé dans la farine
On savait que la participation de Jean-françois Lisée à une campagne électorale, comme chef d’un parti, nous réserverait des épisodes surprenants.
L’ancien journaliste est un stratège d’expérience, une « machine à idées ».
Ça ne plaît pas toujours. Un membre éminent de la nomenklatura péquiste m’a déjà dit : « Il est tellement intelligent qu’il n’y a plus de place pour le jugement. »
Phrase sévère qui, pour sa deuxième partie du moins, ne s’est pas vérifiée dans cette première semaine de campagne.
COUP DE MAÎTRE
Au contraire. Le chef péquiste a réussi un coup de maître cette semaine en faisant mal paraître ses trois adversaires ; et en les forçant à lui donner un plus grand espace. Et sur un sujet économique de premier plan, la renégociation de L’ALENA entre les États-unis et le Canada.
Dès mardi, Lisée saisit l’occasion, propose l’idée d’une déclaration commune par laquelle les chefs des partis défendraient tous, en un front uni, la gestion de l’offre du lait, des oeufs et de la volaille. Il fallait « s’élever » au-dessus des débats et des déchirements de campagne, défendre les intérêts du Québec, plaidait-il.
Soutenir qu’il faut mettre de côté la politique et la partisanerie, c’est souvent la meilleure manière de continuer subtilement de pratiquer la première au profit de la seconde.
VOLTE-FACE LIBÉRALE
D’abord, Philippe Couillard rejette la main tendue : « Je ferai mes propres communications », avait-il pesté.
François Legault, empêtré dans l’affaire Le Bouyonnec, l’accepte mollement, soutenant qu’il est « ouvert à ça ». Cela le force toutefois à exclure de son « escouade économique » un de ses candidats pourtant économiste, mais jadis farouchement opposé à la gestion de l’offre, Youri Chassin.
Le lendemain, premier changement de cap de Philippe Couillard : il accepte le principe d’une déclaration commune, mais refuse toujours d’apparaître côte à côte avec les autres chefs.
En coulisse, dès mardi, l’union des producteurs agricoles (UPA), aiguillonnée par la sortie de Lisée, sondait l’intérêt des chefs à se rendre vendredi à sa « Maison » afin de manifester leur appui à la gestion de l’offre.
Mercredi et jeudi, pourparlers entre les conseillers des quatre partis ; l’idée d’une déclaration a du plomb dans l’aile, mais la conférence de presse à L’UPA suscite de l’intérêt.
Chacun des chefs, avant de bousiller entièrement l’horaire de son vendredi, cherche à savoir si les autres y seront.
Sur la caravane péquiste, dès mercredi soir à Sherbrooke, on annonce aux journalistes qu’ils coucheront à Longueuil et non à Tadoussac comme prévu, le lendemain. Sans justification de ce changement majeur à l’horaire !
Le mystère commence à se dissiper jeudi en début d’après-midi, lors d’une rencontre dans le bus, avec une stratège.
Sachant alors qu’il n’y aurait plus de négociations avec les autres partis autour du texte, le PQ remet sa version aux journalistes.
On nous fait comprendre que la déclaration commune ne se fera pas, mais qu’une conférence de presse se tiendra à L’UPA vendredi (hier).
L’équipe de Lisée sait à ce moment que Manon Massé y sera (malgré son opposition de principe à L’ALENA) ainsi qu’une représentante du PLQ, Dominique Anglade, et une de la CAQ, Sylvie D’amours.
En soirée, jeudi, coup de théâtre : le chef libéral annonce finalement qu’il s’y pointera. Il est 21 h. L’équipe de Legault, au Saguenay, est stupéfaite. Pour être à temps à Longueuil pour la conférence de presse, il lui faudrait partir dans la nuit. Échec et mat.
Le voilà contraint, pour ne pas avoir l’air d’abandonner les agriculteurs, d’improviser une conférence de presse téléphonique en direct du Saguenay avec L’UPA et des producteurs de lait.
TRIPLE MISE EN ÉCHEC
Longueuil, 9 h, hier matin, les autobus des caravanes péquiste, caquiste et de QS convergent à la Maison de L’UPA, boulevard Roland-therrien. En attendant l’entrée de chefs, des conseillers libéraux et péquistes discutent et, soudainement, éclatent de rire.
Premier chef sur place, Lisée complète la mise en échec : « M. Legault déçoit, il a déçu sur l’éthique, il déçoit maintenant sur l’intérêt national, c’était une priorité d’être ici, moi j’étais censé être à Baie-comeau, j’ai changé mon horaire pour être ici parce que j’ai le bon sens des priorités. »
Philippe Couillard et Manon Massé suivent et font le même type de reproche, mais moins frontalement. Une députée caquiste présente, Chantal Soucy, souligne que son chef semble avoir été « piégé ».
COUP DE POUCE SUBTIL
L’image est forte. Legault brille par son absence. Philippe Couillard, qui a besoin que le PQ prenne quelques points d’appui afin de nuire à la CAQ, a le chef Lisée à ses côtés.
Ce dernier profite du moment : moins lyrique, plus précis et politique que le premier ministre, il condamne Ottawa, qui, dénonce-t-il, a déjà décidé de sacrifier le lait, la volaille et les oeufs du Québec « au profit de l’industrie automobile ontarienne ». Il plaide au passage pour l’exception culturelle.
Peu après, il visite une ferme. Au dîner, il semble crevé. Le smoothie ne fait plus effet. On apprend qu’une membre de son équipe a démissionné.
Dans l’équipe de François Legault, on a congé aujourd’hui : « Nous on sait que c’est un marathon, pas un sprint. Lisée en fait trop, épuise son monde. Ça, ce n’est pas très stratégique. »