Le Journal de Quebec

Comment Legault fut roulé dans la farine

- antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

On savait que la participat­ion de Jean-françois Lisée à une campagne électorale, comme chef d’un parti, nous réserverai­t des épisodes surprenant­s.

L’ancien journalist­e est un stratège d’expérience, une « machine à idées ».

Ça ne plaît pas toujours. Un membre éminent de la nomenklatu­ra péquiste m’a déjà dit : « Il est tellement intelligen­t qu’il n’y a plus de place pour le jugement. »

Phrase sévère qui, pour sa deuxième partie du moins, ne s’est pas vérifiée dans cette première semaine de campagne.

COUP DE MAÎTRE

Au contraire. Le chef péquiste a réussi un coup de maître cette semaine en faisant mal paraître ses trois adversaire­s ; et en les forçant à lui donner un plus grand espace. Et sur un sujet économique de premier plan, la renégociat­ion de L’ALENA entre les États-unis et le Canada.

Dès mardi, Lisée saisit l’occasion, propose l’idée d’une déclaratio­n commune par laquelle les chefs des partis défendraie­nt tous, en un front uni, la gestion de l’offre du lait, des oeufs et de la volaille. Il fallait « s’élever » au-dessus des débats et des déchiremen­ts de campagne, défendre les intérêts du Québec, plaidait-il.

Soutenir qu’il faut mettre de côté la politique et la partisaner­ie, c’est souvent la meilleure manière de continuer subtilemen­t de pratiquer la première au profit de la seconde.

VOLTE-FACE LIBÉRALE

D’abord, Philippe Couillard rejette la main tendue : « Je ferai mes propres communicat­ions », avait-il pesté.

François Legault, empêtré dans l’affaire Le Bouyonnec, l’accepte mollement, soutenant qu’il est « ouvert à ça ». Cela le force toutefois à exclure de son « escouade économique » un de ses candidats pourtant économiste, mais jadis faroucheme­nt opposé à la gestion de l’offre, Youri Chassin.

Le lendemain, premier changement de cap de Philippe Couillard : il accepte le principe d’une déclaratio­n commune, mais refuse toujours d’apparaître côte à côte avec les autres chefs.

En coulisse, dès mardi, l’union des producteur­s agricoles (UPA), aiguillonn­ée par la sortie de Lisée, sondait l’intérêt des chefs à se rendre vendredi à sa « Maison » afin de manifester leur appui à la gestion de l’offre.

Mercredi et jeudi, pourparler­s entre les conseiller­s des quatre partis ; l’idée d’une déclaratio­n a du plomb dans l’aile, mais la conférence de presse à L’UPA suscite de l’intérêt.

Chacun des chefs, avant de bousiller entièremen­t l’horaire de son vendredi, cherche à savoir si les autres y seront.

Sur la caravane péquiste, dès mercredi soir à Sherbrooke, on annonce aux journalist­es qu’ils coucheront à Longueuil et non à Tadoussac comme prévu, le lendemain. Sans justificat­ion de ce changement majeur à l’horaire !

Le mystère commence à se dissiper jeudi en début d’après-midi, lors d’une rencontre dans le bus, avec une stratège.

Sachant alors qu’il n’y aurait plus de négociatio­ns avec les autres partis autour du texte, le PQ remet sa version aux journalist­es.

On nous fait comprendre que la déclaratio­n commune ne se fera pas, mais qu’une conférence de presse se tiendra à L’UPA vendredi (hier).

L’équipe de Lisée sait à ce moment que Manon Massé y sera (malgré son opposition de principe à L’ALENA) ainsi qu’une représenta­nte du PLQ, Dominique Anglade, et une de la CAQ, Sylvie D’amours.

En soirée, jeudi, coup de théâtre : le chef libéral annonce finalement qu’il s’y pointera. Il est 21 h. L’équipe de Legault, au Saguenay, est stupéfaite. Pour être à temps à Longueuil pour la conférence de presse, il lui faudrait partir dans la nuit. Échec et mat.

Le voilà contraint, pour ne pas avoir l’air d’abandonner les agriculteu­rs, d’improviser une conférence de presse téléphoniq­ue en direct du Saguenay avec L’UPA et des producteur­s de lait.

TRIPLE MISE EN ÉCHEC

Longueuil, 9 h, hier matin, les autobus des caravanes péquiste, caquiste et de QS convergent à la Maison de L’UPA, boulevard Roland-therrien. En attendant l’entrée de chefs, des conseiller­s libéraux et péquistes discutent et, soudaineme­nt, éclatent de rire.

Premier chef sur place, Lisée complète la mise en échec : « M. Legault déçoit, il a déçu sur l’éthique, il déçoit maintenant sur l’intérêt national, c’était une priorité d’être ici, moi j’étais censé être à Baie-comeau, j’ai changé mon horaire pour être ici parce que j’ai le bon sens des priorités. »

Philippe Couillard et Manon Massé suivent et font le même type de reproche, mais moins frontaleme­nt. Une députée caquiste présente, Chantal Soucy, souligne que son chef semble avoir été « piégé ».

COUP DE POUCE SUBTIL

L’image est forte. Legault brille par son absence. Philippe Couillard, qui a besoin que le PQ prenne quelques points d’appui afin de nuire à la CAQ, a le chef Lisée à ses côtés.

Ce dernier profite du moment : moins lyrique, plus précis et politique que le premier ministre, il condamne Ottawa, qui, dénonce-t-il, a déjà décidé de sacrifier le lait, la volaille et les oeufs du Québec « au profit de l’industrie automobile ontarienne ». Il plaide au passage pour l’exception culturelle.

Peu après, il visite une ferme. Au dîner, il semble crevé. Le smoothie ne fait plus effet. On apprend qu’une membre de son équipe a démissionn­é.

Dans l’équipe de François Legault, on a congé aujourd’hui : « Nous on sait que c’est un marathon, pas un sprint. Lisée en fait trop, épuise son monde. Ça, ce n’est pas très stratégiqu­e. »

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François Legault a été contraint, pour ne pas avoir l’air d’abandonner les agriculteu­rs, d’improviser une conférence de presse téléphoniq­ue en direct du Saguenay avec L’UPA.

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