36 000 fois OUI à un soutien financier équitable
Quelle est la pire chose qui puisse arriver à un parent ? Tout le monde connaît la réponse à cette question. Perdre son enfant. Que ce soit subitement ou à cause d’une longue maladie, la mort de son enfant n’est pas, on le conçoit aisément, une idée à laquelle on peut s’habituer.
Lhassa est une petite fille magnifique, ses immenses yeux noirs sont bordés de cils infiniment longs, elle fait les plus beaux sourires de l’histoire de l’humanité et elle nous transporte au pays du bonheur pur quand elle crie de joie. Toutefois elle est multihandicapée, atteinte d’une maladie orpheline dégénérative pour laquelle il n’existe ni traitement ni pronostic clair. Lhassa ne marchera pas, ne parlera pas, n’aura jamais aucune autonomie. Elle présente une déficience intellectuelle profonde, souffre d’épilepsie réfractaire, est nourrie par tube gastrique. En outre, elle est régulièrement hospitalisée, car le moindre rhume dégénère presque chaque fois en pneumonie. Elle a quatre ans et, selon toute probabilité, elle n’atteindra pas l’âge adulte.
Cela dit, elle réagit au toucher, aime les massages et se faire bercer, elle émet toutes sortes de vocalises pour qualifier son bien-être, elle ne semble pas malheureuse, au contraire. Malgré ses limites, c’est une enfant joyeuse et notre vie avec elle, même si elle est difficile, est remplie de moments heureux.
LES PEURS
Cela dit, chaque jour, à des degrés divers, mais chaque jour quand même, j’ai très peur de ce qui s’en vient. Une série de peurs que le temps aiguise au lieu d’atténuer.
Peur du jour où je vais rentrer de l’hôpital les bras vides. Peur de m’effondrer et de ne pas arriver à me relever. Peur que ma fille souffre. Peur qu’on n’arrive pas à la soulager. Peur de la voir dépérir. Peur du jour où elle va arrêter de sourire. Peur de souhaiter, à un moment donné, sa mort. Peur qu’elle me survive – et qu’elle meure seule dans un CHSLD. Peur de ne pas arriver à la laisser partir. Peur de ne pas être capable de lâcher son corps une fois qu’il sera froid. Peur que l’image de ma fille vide de vie, rigide et bleuie me paralyse pour le reste de mes jours. Peur de ne pas arriver à déjouer la peine, la colère, le vide trop grand. Peur de continuer d’entendre ses cris de joie en écho dans le silence de la maison après. Peur de massacrer sur place les parents qui gueulent sur leurs enfants à l’épicerie, à la pharmacie, au restaurant. Peur d’oublier la voix de ma fille. Son odeur. La douceur de sa peau. La finesse du dessin de ses lèvres. La perfection de son visage. Entre autres.
Puis elle sourit, ça fait de la lumière jusqu’au ciel, je l’aime à la folie, plus rien d’autre ne compte. Les peurs retournent dans les coulisses. Quelques minutes, quelques heures.
INIQUITÉ INJUSTIFIABLE
Il y a 36 000 enfants handicapés au Québec. À peine 5 % ont droit au Supplément pour enfant handicapé nécessitant des soins exceptionnels (SEHNSE), qui correspond à une prestation de 962 $ par mois. C’est donc dire que 95 % des enfants handicapés ne sont admissibles qu’au Supplément de base de 192 $ par mois du gouverne- ment provincial.
Le 11 juillet dernier, une analyse de la firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton nous apprenait que les familles d’accueil reçoivent en moyenne 70 % de plus que les familles naturelles pour s’occuper d’un enfant handicapé. Ainsi, une famille d’accueil qui s’occuperait de ma fille recevrait plus de 55 000 $ par année. Cette iniquité me paraît injustifiable.
Rien ne fera disparaître le stress quotidien relié aux multiples problèmes de santé de nos enfants, rien ne va changer du jour au lendemain leur espérance de vie. Toutefois une aide financière adaptée à notre situation allégerait au moins l’inévitable perte de revenus et l’important fardeau financier qui nous incombe du fait d’avoir un enfant handicapé nécessitant des soins spécialisés.
Si l’on juge le degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite ses éléments les plus vulnérables, soutenir équitablement les parents qui souhaitent garder leur enfant handicapé à la maison me semble être la moindre des choses.
Continuons la mobilisation – manifestez votre appui.
« JUSTICE NE SERA RENDUE QUE LE JOUR OÙ CEUX QUI NE SONT PAS CONCERNÉS S’INDIGNERONT AVEC CEUX QUI LE SONT » – Benjamin Franklin
Anouk Lanouette Turgeon est la maman de Lhassa, 4 ans. Elle est une des initiatrices du mouvement Parents jusqu’au bout !