Le Journal de Quebec

Les dessous de la vente de RONA

Dans un livre-choc en librairie aujourd’hui, l’ex-pdg de RONA, Robert Dutton, se vide le coeur pour le Québec inc.

- MICHEL GIRARD

Mettez-vous à la place de Robert Dutton. Se faire mettre à la porte de « son » entreprise après 35 années de loyaux services, dont 20 à titre de président et chef de la direction, c’est à la fois blessant et révoltant.

La blessure est d’autant plus grande lorsque vous découvrez que votre départ avait en fait pour finalité de permettre aux gros actionnair­es, dont la Caisse de dépôt et placement, de faire la piastre en vendant l’entreprise à une multinatio­nale américaine. Farouche défenseur d’un Québec inc. qui protège ses sièges sociaux, l’ancien grand patron de RONA, Robert Dutton, ne voulait rien savoir des offres d’acquisitio­n de Lowe’s.

INCONCEVAB­LE

Pour lui, il était inconcevab­le de voir RONA devenir une filiale d’une multinatio­nale étrangère. Pour les gros fonds institutio­nnels qui détiennent des blocs d’actions de votre entreprise, il était évident qu’un PDG comme Dutton représenta­it un obstacle majeur. C’est le genre de gars capable de déplacer des montagnes pour proté- ger l’entreprise contre les prédateurs étrangers.

MESSAGE AUX POLITICIEN­S

À mon avis, la saga entourant la vente de RONA à la multinatio­nale américaine Lowe’s mériterait la tenue d’une commission d’enquête, question de faire toute la lumière sur les dessous de la mégatransa­ction de 3,2 milliards de dollars. Après tout, RONA était une entreprise publique avant son achat par Lowe’s en 2016.

Comme document de base, je recommande le livre Mise à niveau de Robert Dutton. Une brique de 400 pages dans laquelle Dutton révèle avec détails des stratégies tordues qui ont cours dans le monde de la haute finance lorsqu’une entreprise comme RONA fait l’objet de convoitise.

Dans le cadre de l’entrevue accordée au Journal, il tient à dire que « ce n’est pas un hasard » si son livre sort en pleine campagne électorale. Il souhaite que les politicien­s prennent conscience de certains faits troublants.

DERRIÈRE LES PORTES

À l’été 2011, des membres de la haute direction de RONA avaient rencontré les dirigeants de Lowe’s à leur siège social de Mooresvill­e, en Caroline du Nord, et ce, en vue de leur faire une offre pour acquérir les magasins de Lowe’s au Canada.

Sur place, les rôles furent inversés. C’est la direction de Lowe’s qui voulait mettre le grappin sur RONA.

Devant la forte réticence de Robert Dutton, le président et chef de la direction de Lowe’s, Robert Niblock, demande de le voir seul à seul. « Qu’est-ce que je peux faire pour toi pour que tu changes d’idée ? » [lui] dit-il. Précédemme­nt, il lui avait dit « qu’une telle transactio­n aurait d’énormes avantages pour les membres de la direction de RONA ». « C’est mal me connaître. Pas question d’avantages personnels. Je travaille pour tous les actionnair­es de RONA. »

Lowe’s est revenu à la charge en décembre 2011. Le 14 décembre, Niblock appelle Dutton pour lui signifier de nouveau l’intérêt de Lowe’s à entreprend­re des discussion­s en vue de l’acquisitio­n de RONA.

LA CAISSE ARRIVE

Le 2 décembre 2011, à sa demande, Normand Provost, premier vice-président placements privés de la Caisse, va rencontrer Dutton à son bureau de Bouchervil­le. La discussion porte sur les rumeurs, le cours de l’action déprimé, l’absence de structure de contrôle dans l’actionnari­at et la vulnérabil­ité en découlant… Il faut savoir que Manuvie et Invesco Trimark, deux gros actionnair­es de RONA, souhaitent la vente de RONA à Lowe’s.

Le 12 décembre, Dominique Boies, vice-président et chef de la direction financière de RONA, reçoit un appel de Jean-luc Gravel, premier vice-président marchés boursiers de la Caisse. Celle-ci détient à ce moment-là 8,6 % de RONA.

Mis au courant de l’offre que s’ap- prêterait à faire Niblock à Dutton le 14 décembre prochain, Dominique Boies lui dit : « Jean-luc, je préférerai­s ne pas te parler de RONA pour l’instant. »

Dans les heures qui suivent, Normand Provost rappelle Dutton.

« Robert, j’ai bien compris ? Vous ne parlez pas ? – Oui. – Oui, quoi ? – Oui, nous ne parlons pas. – Est-ce que je comprends ce que je dois comprendre ? – Nous ne parlons pas. - D’accord. » La conversati­on s’arrête là. « J’estime qu’il a bien compris le message », précise Dutton.

Le lendemain, 13 décembre, à 17 h 38, la Caisse publie un communiqué annonçant qu’elle vient d’acheter 2 millions d’actions de RONA, au prix moyen de 10,01 $, ce qui porte sa participat­ion à 10,17 %.

Question : l’autorité des marchés financiers (AMF) a-t-elle vérifié si cette transactio­n d’achat de la Caisse ne faisait pas l’objet d’un délit d’initiés ?

L’OFFRE… REFUSÉE

Par la suite, arrive en juillet 2012 l’épisode de l’offre non sollicitée de Lowe’s. Le gouverneme­nt Charest s’en mêle. Il débloque un fonds spécial de 150 millions $. Tout le Québec inc. se range derrière RONA. La Caisse, le Fonds de solidarité… augmentent leurs positions. C’est la guerre ouverte contre Lowe’s, qui abdique le 17 septembre 2012.

Mais à la suite de cette « victoire » contre Lowe’s, de gros actionnair­es sont mécontents de voir l’action baisser de nouveau. Ils souhaitent remplacer le conseil et la direction de RONA.

Un comité spécial a été mis sur pied… pour tenter la privatisat­ion de RONA.

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MISEÀNIVEA­U Robert Dutton Éditions Origo, 422 pages
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