Le Journal de Quebec

COTISATION D’IMPÔT ASTRONOMIQ­UE

Le fisc refuse les dépenses de l’espace de Guy Laliberté

- JEAN-FRANÇOIS CLOUTIER ET JEAN-LOUIS FORTIN

Le milliardai­re Guy Laliberté a tenté de ne pas payer d’impôt sur les 41,8 M$ qu’a coûté son voyage dans l’espace en 2009, estimant qu’il s’agissait d’une dépense d’affaires. Un juge vient de le faire redescendr­e sur Terre.

L’épopée de 12 jours en apesanteur du célèbre fondateur du Cirque du Soleil, il y a presque une décennie, avait été largement médiatisée. Guy Laliberté s’était envolé vers la Station spatiale internatio­nale pour une « mission sociale et poétique » visant à sensibilis­er le public aux enjeux de protection de l’eau.

Un événement planétaire vidéo en direct avait même été organisé en collaborat­ion avec des vedettes, comme Bono et Shakira, au moment où le richissime homme d’affaires était dans l’espace.

Guy Laliberté a d’abord payé pour son voyage via un holding personnel. Mais deux mois après son retour sur le plancher des vaches, il s’est fait rembourser par Créations Méandres, la compagnie qui contrôlait le Cirque du Soleil. Il venait donc de toucher un avantage financier très important, de l’ordre de 41,8 millions de dollars.

DÉPENSES D’ENTREPRISE ?

Pour justifier cette manoeuvre, ses comptables ont fait valoir que son périple dans les étoiles n’était pas un voyage personnel, mais plutôt un « stunt » publicitai­re destiné à mousser la popularité du Cirque.

Selon eux, le versement de 41,8 M$ fait par le Cirque n’était donc pas un avantage financier, mais bien le remboursem­ent d’une dépense encourue pour l’entreprise par M. Laliberté. Un peu comme lorsqu’un employeur rembourse un travailleu­r qui lui a remis une allocation de dépenses.

En conséquenc­e, le milliardai­re n’a payé aucun impôt personnel sur la plus grande partie des 41,8 M$ que lui avait versés le Cirque en payant pour son voyage hors de l’atmosphère terrestre.

Il a ainsi épargné près d’une vingtaine de millions de dollars, si on calcule à partir du taux d’imposition d’environ 49 % qui s’appliquait à lui en 2009.

Revenu Canada a contesté cette comptabili­té créative et exigé que Guy Laliberté paye l’impôt dû. Le fisc vient d’obtenir gain de cause dans une décision du juge Patrick Boyle datée du 12 septembre, dont notre Bureau d’enquête a obtenu copie.

« Il y a une différence entre un voyage d’affaires […] et un voyage personnel. […] Je considère que ce voyage dans l’espace entre dans la deuxième catégorie », écrit le magistrat de la Cour canadienne de l’impôt.

Le juge Boyle énumère pas moins de 27 raisons qui lui font croire que c’est le fondateur du Cirque du Soleil qui a pris la décision « personnell­e » d’entreprend­re cette aventure.

Entre autres, il n’a jamais été question que l’entreprise délègue quelqu’un d’autre que lui dans la fusée Soyouz. Aussi, les négociatio­ns entourant le voyage n’ont impliqué que des représenta­nts

personnels de Guy Laliberté, et non des représenta­nts du Cirque.

IL DEVRA PAYER

Selon l’avocat fiscaliste Nicolas Simard, la loi oblige Guy Laliberté à payer immédiatem­ent au fisc son dû d’environ 20 M$, même s’il tente d’en appeler du verdict.

« La décision est très bien écrite, très bien motivée. Il a une méchante côte à remonter s’il choisit d’aller en appel », estime Me Simard, contacté par notre Bureau d’enquête.

Selon lui, l’histoire de Guy Laliberté est un bon rappel pour tous les contribuab­les.

« Si votre entreprise paie vos dépenses, assurez-vous que ce sont bel et bien des dépenses d’affaires. Si le gouverneme­nt se rend compte que c’est un bénéfice personnel, ils vont vous envoyer un avis de cotisation », prévient-il.

Au moment de mettre sous presse, Guy Laliberté n’avait pas répondu à notre invitation pour émettre des commentair­es. En 2017, notre Bureau d’enquête révélait que Guy Laliberté tentait aussi de faire baisser l’évaluation de son somptueux domaine à Saint-bruno-de-montarvill­e, pour économiser 6569,66 $ par année en taxes foncières.

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PHOTO D’ARCHIVES Guy Laliberté est devenu en septembre 2009 le septième entreprene­ur à faire un voyage dans l’espace. Il s’était entraîné pendant cinq mois avant son périple.
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NICOLAS SIMARD Avocat fiscaliste

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