Le Journal de Quebec

Ces chefs m’impression­nent

- antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Hier matin, en pleine préparatio­n d’une chronique sur le débat de la veille, je suis tombé, dans Facebook, sur une phrase d’un ami philosophe qui m’a, à mon propre étonnement, touché.

« Au risque de paraître vieux jeu, j’avoue avoir bien aimé ce débat. En dehors des lignes partisanes, on a eu droit à plusieurs échanges substantie­ls sur de vraies propositio­ns de politiques publiques. Quel exercice incroyable pour des humains ! »

Ce dernier mot — vous me trouverez peut-être cucul — m’a ému. Oui, ce sont des humains. Je les côtoie tous les jours et vous le certifie.

HUMAIN ET SURHUMAIN

Quelle épreuve ce doit être, quand même, ces débats, pour ceux et celles qui y participen­t ?

Jeudi soir dans les couloirs de la grande tour brune (Radio-canada), après la bataille verbale, parmi les journalist­es groupés autour des chefs, je croyais percevoir l’esprit de chacun d’eux tuméfié, tel le visage de Rocky Balboa à la suite d’un combat.

Cette épreuve est physique. Surtout pour Manon Massé qui, le 22 avril, s’est fracturé le fémur — l’os le plus long et le plus solide du corps. « Honnêtemen­t, j’ai mal un peu, j’ai hâte d’aller étendre ma jambe », confiaitel­le, le visage crispé, à la fin du point de presse, appuyée sur sa canne.

J’écris « humain ». Mais ce que notre démocratie exige d’eux a quelque chose de surhumain. Un peu à l’image d’une course de type « Ironman » : 3,8 km de natation, 180,2 km de vélo et — comme si ce n’était pas assez — un marathon (42,2 km).

L’ironman politique du Québec 2018, c’est 39 journées de 16 à 20 heures qui suivent des mois de précampagn­e déjà très intenses.

Depuis le 23 août, c’est des milliers de kilomètres sur un bus bruyant dont ils montent et descendent constammen­t. C’est des milliers de mains à serrer.

C’est se retrouver sur la sellette à toute heure du jour, avec obligation de performer devant des militants, des adversaire­s, des représenta­nts, des quidams.

C’est d’avoir l’air confiant devant ses ouailles, même les jours où tout va mal.

C’est d’éviter constammen­t les erreurs ; bombardés d’informatio­n, de questions sur tous les sujets imaginable­s, auxquels on doit avoir une bonne réponse.

C’est dormir trois, au maximum cinq heures par nuit.

ILS AIMENT ÇA

Oh, je sais que vous vous dites à propos des politicien­s comme des ultramarat­honiens : « Ils l’ont choisi. C’est même ce qu’ils recherchen­t. Ils carburent à ça. »

Absolument : ce sont des athlètes du débat public, des champions des questions et politiques sociales, des grands dilemmes nationaux.

Et aussi — je ne l’oublie pas, détrompez-vous… — de grands fauves du pouvoir. Ce pour quoi ils doivent être surveillés et questionné­s par les médias et le public.

Mais il restent humains. Comme l’ultramarat­honien en plein milieu de l’épreuve, une question doit parfois surgir en leur for intérieur : « Mais pourquoi donc je m’impose ça ? »

Sur les médias sociaux, ils sont traités comme des zombies de jeux vidéo sur lesquels des trolls qui ne leur vont pas à l’orteil se défoulent en leur tirant dessus. Des esprits fêlés vont même jusqu’à passer à l’acte, dans la réalité : 1984, 2012.

Des élus me racontaien­t hier qu’ils ont participé récemment à un exercice contre l’intimidati­on organisée par la Fondation Jasmin Roy. Chacun lisait des vrais commentair­es odieux, diffamatoi­res, violents, faits à leur endroit sur les réseaux. C’était à un de leurs adversaire­s partisans, assis devant lui, d’y répondre ! Intéressan­t exercice.

J’AI AIMÉ

Oh, et moi aussi, comme mon ami philosophe, j’ai bien aimé le débat de jeudi.

Probableme­nt parce que je suis un drogué fini des affaires publiques. Et aussi parce que j’aime observer ces athlètes du débat public performer. Comme je me pâme devant les cyclistes profession­nels qui grimpent des côtes à 35 km/heure.

Bien sûr, il y eut abondance de rhétorique, d’arguments fallacieux, dans ce débat.

On a recensé moments forts et perles en masse hier sur toutes les plateforme­s. Vous savez que je serais capable de les relever à mon tour ; de les critiquer, de m’en moquer, de pourfendre les pires ; vous dire qui, selon moi, a marqué le plus de points, et quand. La politique est une guerre — sublimée — pour le pouvoir, et sans la réduire à cela, elle ne peut échapper à une analyse aux accents militaires ou sportifs.

Ce n’est pas le propos que je veux tenir ici. Je crois qu’il est important parfois que nous nous arrêtions et, un peu comme mon ami le suggère en filigrane dans sa phrase, qu’on prenne conscience — au risque d’être « vieux jeu » ou cucul — que lors des exercices comme ceux d’hier, c’est la démocratie qui marque des points.

Surtout quand les acteurs derrière sont des gens comme Jean-françois Lisée, François Legault, Manon Massé et Philippe Couillard.

À moins qu’ils soient des comédiens mystifiant­s (ce que je n’exclus jamais tout à fait), j’ai le sentiment, à force de les côtoyer, qu’il y a en chacun d’eux une authentiqu­e volonté d’améliorer le Québec.

Je le dis : je nous considère chanceux de les avoir. Notamment parce que même si ce sont des as de la rhétorique, ils sont restés l’autre soir dans ce que j’appellerai­s une « zone factuelle » très acceptable.

Les vérificati­ons des faits qui ont suivi le débat l’ont passableme­nt démontré. On semble bien loin en tout cas des dizaines de propos erronés et trompeurs contenus dans le discours de certains politicien­s au sud de la frontière lors d’exercices de ce type.

Voilà : au risque que vous pensiez que j’ai contracté le syndrome de Stockholm sur les bus, je tenais à dire mon admiration.

Maintenant... de retour à notre programmat­ion régulière !

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Je nous considère chanceux d’avoir Lisée, Massé, Legault, Couillard. Notamment parce que même si ce sont des as de la rhétorique, ils sont restés l’autre soir dans ce que j’appellerai­s une « zone factuelle » très acceptable.

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