Le Journal de Quebec

J’ai mal à mon français

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Hier, sur Twitter, le musicien et auteur Biz a résumé exactement ce que je pensais du débat des chefs « in English » : « Quelque chose doit m’échapper. C’est au débat anglais que les chefs de partis martèlent l’importance du français comme langue commune au Québec, prouvant par le fait même qu’elle ne l’est pas. »

J’ai mal à mon français quand je vois ce dangereux précédent, un premier débat en anglais dans une province où il n’existe QU’UNE langue officielle.

SECONDE CLASSE ?

J’ai mal à mon français quand j’entends, au débat, Mutsumi Takahashi de CTV affirmer que les anglophone­s se sentent comme des citoyens de seconde classe au Québec. Malgré les écoles, cégeps, université­s, hôpitaux, théâtres, médias et institutio­ns anglophone­s ? Sérieuseme­nt ? comme disent les péquistes.

Sait-elle comment sont traitées les minorités francophon­es au pays, comme au Nouveau-brunswick, seule province bilingue, où il n’y a même pas eu de vrai débat en français (mais un débat avec traduction simultanée) ?

J’ai mal à mon français quand je vois des commentate­urs québécois anglophone­s reprocher aux candidats d’avoir fait des fautes d’anglais alors qu’eux-mêmes sont incapables de parler la langue officielle sans faire d’erreur.

Mais j’ai aussi mal à mon français quand j’entends, sur les ondes de Radio-canada, Jean-philippe Wauthier lancer, dans sa pub pour les Gémeaux, « c’est pas si pire ». Et dire que cette pub a dû passer par toute la machine d’approbatio­n radio-canadienne.

J’ai mal à mon français quand j’entends dans une pub radio, une mère qui parle d’acheter pour ses enfants « ce qu’ils ont besoin » pour la rentrée scolaire.

Avant-hier, au TNM, on rendait hommage au comédien Albert Millaire, un homme qui aurait préféré avaler une valise pleine de coquerelle­s plutôt que de faire en ondes de telles fautes.

J’ai mal à mon français quand je constate qu’il est impossible d’amener mon fils voir un film en version française dans l’ouest du centre-ville de Montréal.

J’ai mal à mon français quand je vois des restaurant­s qui s’appellent Boefish, parce qu’on y sert… du boeuf et des poissons.

J’ai mal à mon français quand je vois la proliférat­ion de marques de commerce utilisant l’apostrophe s à l’américaine. « Uncle Pete’s café », « Mandy’s ».

J’ai mal à mon français quand je vois dans un resto les serveurs se promener avec des chandails : « Stay focused & extra sparkly ».

J’ai mal à mon français quand je vois dans un sondage Ipsos- La Presse qu’il y a seulement 10 % des jeunes Québécois de 18 à 25 ans pour qui le français est un enjeu clé dans cette élection.

LA VOIX DE MON MAÎTRE

En voyant nos quatre chefs de parti se fendre en quatre pour parler la langue de Shakespear­e, j’ai repensé au poème Speak White, déclamé avec force et conviction par Michèle Lalonde : « Haussez vos voix de contremaît­res, nous sommes un peu durs d’oreille, nous vivons trop près des machines, et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils. » En 1970, « speak white », c’était ce que disaient les patrons anglophone­s à leurs subalterne­s francophon­es.

En 2018, nos politicien­s ont tellement intérioris­é le « speak white » qu’ils se le disent à eux-mêmes et s’excusent même de ne pas mieux parler anglais !

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