KONRAD SIOUI, LE COMBATTANT
Des combats pour les droits des Premières Nations, Konrad Sioui en a mené à ne plus les compter, fidèle à une promesse faite à son père avant qu’il ne quitte la « terre-mère ». Il n’en a toutefois pas terminé et persiste avec « la bataille de sa vie ».
Passer quelques heures avec M. Sioui, à Wendake, seule réserve huronne-wendat au Canada, équivaut à revisiter de nombreux pans de l’histoire du Québec, mais vus d’un autre oeil, celui des Premières Nations. Ses récits sont passionnants, d’abord parce qu’il est un excellent conteur, mais aussi parce qu’il a vu neiger, comme on dit.
Élu Grand chef de la nation huronne-wendat en 2008, M. Sioui a aussi été l’une des figures autochtones marquantes sur la scène politique québécoise et canadienne au cours des dernières décennies.
Comme son frère Georges Sioui, éminent philosophe et historien autochtone, Konrad Sioui a été marqué, petit, par la façon dont les religieux racontaient l’histoire. L’image qu’on dépei- gnait des Autochtones se limitait alors à des gens qui avaient refusé la foi, et qui avaient maltraité et tué des missionnaires. C’est ce qu’on disait aux enfants autochtones, dans les pensionnats, en les bénissant parce qu’ils avaient soi-disant péché.
Le traumatisme était important pour des petits qui n’y comprenaient rien. Pourquoi étaient-ils soudain considérés comme des êtres malsains, ou à peu près ?
Leur père les exhortait à ne pas croire ces histoires. « Il nous a dit : vous autres, un jour, vous allez écrire notre côté de l’histoire, vous allez parler pour nous autres même », se souvient Konrad Sioui.
ENFANT PRÉCOCE
Déjà vers sept ou huit ans, Konrad Sioui s’intéressait à la politique. Il se glissait en cachette dans les jubés de la salle du conseil où se réunissaient les chefs. Ensuite, il rapportait à sa mère ce qu’il avait entendu. « Les gens du village se souviennent encore de ça », dit-il avec le sourire.
Venu au monde sur la réserve voisine, il a passé beaucoup de temps le long de la « track de chemin de fer » qui faisait le lien avec Wendake. Ses frères et lui allaient visiter leur grand-mère adorée, moments qui demeurent parmi les plus beaux souvenirs de sa vie.
« On allait chez ma grand-mère maternelle, et on revenait chez nos parents. Nos chiens nous traînaient dans des attelages, on était en mocassins tout le temps. On a fait notre jeunesse comme ça. On était tellement bien, on l’aimait notre grand-mère, et elle nous aimait. »
GRAVE ACCIDENT
Le jeune homme a ensuite appris tôt à être reconnaissant envers la vie. Après un voyage en Alaska avec deux de ses frères – ils rêvaient de découvrir le Yukon et l’alaska –, il s’est cassé le cou lorsqu’un arbre lui est tombé dessus. Il a passé six mois dans le plâtre, a été paralysé, et a fini par s’en sortir à peu près indemne. « J’aurais pu être paraplégique, dit-il. Après, je ne me suis jamais plaint de grand-chose. »
Il a ensuite fait des études en anthropologie à l’université Laval, « une belle base pour saisir toutes les écoles de pensée ». Il a ensuite travaillé au gouvernement fédéral et a complété une maîtrise à L’ÉNAP. « J’aime me nourrir intellectuellement, remarque-t-il, j’ai toujours lu beaucoup. »
À 31 ans, il a siégé comme chef régional de l’assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et ce, pendant huit ans. Il a joué un rôle de premier plan quant à la question constitutionnelle canadienne, en présidant une commission d’enquête sur les droits autochtones. Il a aussi été, pendant huit ans, représentant à Genève de l’assemblée des Premières Nations.
JUSQU’EN COUR SUPRÊME
Mais la raison pour laquelle il a aspiré à devenir Grand chef, c’est précisément afin de poursuivre ce qu’il identifie comme « la bataille de sa vie ». Il souhaite continuer à protéger les droits historiques issus de traités constitutionnels et territoriaux de la nation huronne-wendat.
Ses frères et lui se sont d’ailleurs retrouvés au coeur d’une cause qu’ils ont remportée en Cour suprême et qui a transformé l’interprétation des traités
signés avec les Autochtones au Canada. En 1982, ils avaient été arrêtés pour avoir campé et fait des feux dans le parc de la Jacques-cartier. Le plus haut tribunal du pays a reconnu leurs droits ancestraux.
Puis, M. Sioui rappelle qu’en 2004, une entente entre Québec et les Innus conférerait à ces derniers le territoire traditionnel huron-wendat, le Nionwentsïo, qui comprend celui de Wendake. Il entend se battre, car « il n’y a pas de nation sans territoire, surtout le peu de territoire qu’il nous reste, rappelle le Grand chef. Sinon, c’est la souffrance totale, la mort de la nation. »
Dans cette optique, depuis son arrivée, des millions de dollars ont été investis pour la protection des droits et territoires de la nation, mais aussi en recherches historiques, anthropologiques et archéologiques. On a construit un aréna et on implantera bientôt un Groupe de médecine familiale (GMF) sur le territoire.
RACONTER LEUR HISTOIRE
Plus récemment, M. Sioui a aussi témoigné devant la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics. Il y a fait valoir, comme le réclamait son père, qu’il est grand temps que ce soient les membres des Premières Nations qui parlent d’euxmêmes et qui racontent leur histoire.
Il souhaite à cet égard qu’il leur soit possible, dans un avenir rapproché, d’écrire une partie des manuels d’histoire destinés aux écoles publiques du Québec et du Canada. Ainsi, les propos seraient plus nuancés, croit-il, et ne feraient plus comme s’il n’y avait que deux peuples au Canada.
Tout cela, M. Sioui le fait pour ses ancêtres, mais aussi pour ses enfants (il en a eu quatre, dont trois sont toujours vivants) et ses trois petits-enfants, dont il exhibe fièrement les portraits dans son bureau coloré.
« C’est un combat perpétuel, souligne M. Sioui, qui ne se fatiguera jamais, de son propre aveu. J’ai encore le même feu en dedans. » Il ajoute qu’il faudra travailler en équipe, au risque de devenir une proie facile.
« On ne peut pas se permettre de se dire victimes, insiste-t-il. On ne peut pas, et on ne veut pas. Sinon on aurait un handicap, alors qu’il faut montrer qu’on est prêt à se battre. »