L’ennemi mortel du français
Vendredi soir, mon héritière no 2 quittait Montréal pour des vacances en Corse. Après l’avoir déposée à l’aéroport, je reçois un appel épouvanté de ma grande voyageuse. « Maman, maman, tu ne le croiras pas, mais personne ne parle français au comptoir d’air France ! »
Ma fille n’a pas la fibre nationaliste. Son père était britannique, elle parle un anglais sans fautes ni accent et s’estime Montréalaise, Québécoise et citoyenne du monde. Ses amis viennent de partout, et la couleur, la langue, l’origine, le genre, elle s’en tartine. Mais Air France in English ? C’était trop.
AUTREFOIS
Montréal change. De nouveaux commerces, souvent tenus par des jeunes branchés, flirtent avec l’anglais. Voulez-vous bien m’expliquer pourquoi un salon de coiffure dans La Petite-patrie s’appelle Two Horses ? Deux Chevaux, ça serait aussi bien, non ?
Des exemples comme cela, il y en a des dizaines. Même moi, fédéraliste et anglophile, je commence à trouver qu’on exagère.
J’aime regarder des photos du Montréal d’antan. Je suis toujours frappée par l’apparence de la rue Sainte-catherine. Tous les commerces, presque sans exception, affichaient en anglais. C’était comme ça avant 1977. Je m’en souviens. Murray’s, Eaton’s, Simpson’s, Morgan’s, Gold and Sons, Laura Secord Candies, Pink Poodle, toys, dining lounge, furs, et j’en passe.
Même l’est n’y échappait pas. Shopping Center Dudemaine, coin Sherbrooke et Langelier, et Shamy’s sur Ontario me viennent automatiquement à l’esprit.
C’était bien pire qu’aujourd’hui, mais Montréal court-elle le risque de retrouver son air de ville nord-américaine anonyme ?
Peut-être pas. Cette semaine, la Cour suprême a refusé d’entendre une requête d’un groupe de 12 indécrottables commerçants anglophones qui estiment que la loi sur l’affichage restreint leur liberté d’expression. N’ayant plus aucun recours au Canada, leur avocat, Brent Tyler, va porter la cause devant le comité des droits de l’homme des Nations Unies.
Ne riez pas : il l’avait fait en 1990 et le Québec avait perdu.
PAS NOS ANGLOS
Revenons à Air France et aux Deux Chevaux. On ne peut pas blâmer « nos » anglos de service, cette fois. Brent Tyler est un dinosaure.
L’ennemi, c’est la mondialisation. Pourtant, je n’y suis pas opposée : rien n’a aussi bien fonctionné pour réduire la pauvreté extrême dans le monde.
Mais elle a des effets pervers qui nécessitent des contraintes. Sa puissance commerciale, combinée à celle de l’anglais, une langue cool qui confère un air cosmopolite, dicte à des entreprises mondialisées comme Air France de sous-traiter une partie de ses activités à d’autres entreprises mondialisées. Plus commode, moins cher et partout pareil.
À Dorval, Swissport représente Air France. Cette multinationale suisse emploie 68000 personnes dans 315 aéroports pour desservir une trentaine de transporteurs. Pensez-vous que le combat des Québécois pour le français les émeut?
De plus, Air France a fermé son centre de réservations à Montréal pour le confier à Delta à Atlanta. Mais le service en français y semble irréprochable. Go figure…
C’est comme l’environnement : nos petits gestes individuels peuvent-ils renverser la vapeur de l’anglicisation planétaire ?