La guerre en sous-contrat
Si un conflit fait rage et que personne ne le remarque, le conflit a-t-il vraiment lieu ? Si une guerre a tué des milliers de soldats et coûté des centaines de milliards de dollars, mais que personne n’y prête attention, vaut-elle la peine d’être livrée ? On en est là en Afghanistan.
C’est la plus longue guerre dans laquelle les États-unis aient été engagés. Il y a 17 ans aujourd’hui, les Américains envahissaient l’afghanistan pour y pourchasser les terroristes responsables des attentats du 11 septembre 2001. Une fortune financière et humaine y a été engloutie, et pourtant, interrogez n’importe qui dans les rues de Washington ces jours-ci et vous récolterez au mieux un « Bof ! » désintéressé.
Puisque plus personne ne prend ces opérations militaires à coeur et que les Américains ne voient pas la nécessité d’aller mourir là-bas, pourquoi ne pas privatiser tout cela ? Pourquoi ne pas laisser un entrepreneur privé faire le sale boulot pour les États-unis… et nous tous d’ailleurs, parce que nous ne sommes pas plus courageux ou plus inspirés que nos voisins du sud ?
C’est ce qu’a « candidement » suggéré le plus tristement célèbre entrepreneur militaire privé de la planète, Erik Prince, fondateur de Blackwater. La compagnie ne porte plus ce nom, associé à l’une des plus sanglantes bavures de la guerre en Irak. Il faut maintenant dire Academi… ça fait moins cruel.
LE TEMPS DE LE DIRE
Erik Prince ne manque ni de confiance ni de culot. Cette guerre d’afghanistan qui n’en finit pas, que des centaines de milliers de soldats américains et d’une vingtaine d’autres pays (dont le Canada) ont livrée au cours des 6209 derniers jours sans pouvoir finalement crier victoire, il est persuadé de pouvoir y mettre fin… en quelques mois.
Il propose d’embaucher « 3600 mentors d’expérience » qu’il collerait aux unités de l’armée afghane. Souvent d’anciens soldats d’élite (SEALS américains, SAS britanniques ou GIGN français), ces « combattants privés » passent inaperçus quand ils tombent au combat, permettant aux gouvernements d’échapper à la grogne des opinions publiques.
Plus troublant encore, leurs méthodes de travail glissent aussi sous les radars, ouvrant la voie aux gaffes mortelles comme celle du 16 septembre 2007 sur le square Nisour à Bagdad. Ce jour-là, des employés de Blackwater, escortant un convoi de l’ambassade américaine, avaient ouvert le feu sur des Irakiens tout autour d’eux.
Ils se sentaient menacés, ont-ils affirmé par la suite, mais rien dans l’enquête subséquente n’est venu confirmer leur prétention. Dix-sept Irakiens ont été tués et 20 autres blessés, tous des civils, hommes femmes et enfants. Le mois dernier, le procès d’un de ces « agents » a été annulé, faute d’unanimité au sein du jury. Onze ans plus tard, personne n’a payé pour ce carnage.
MERCENAIRES RECHERCHÉS
Aussi effrontée que puisse apparaître la proposition d’erik Prince pour régler la guerre afghane, elle s’inscrit dans une privatisation des conflits qu’on observe de plus en plus souvent. La Libye, la Syrie et le Yémen sont parcourus de milices, fidèles à ceux qui les ont payées le plus cher.
L’obsession de la sécurité encourage aussi le développement de « compagnies militaires privées » qui n’ont rien à envier aux armées classiques. Avec 570 000 employés, la société britannique G4S, par exemple, est le 3e plus gros employeur privé au monde et mène ses activités dans plus de 90 pays.