Le Journal de Quebec

Abuser des recherches sur le cannabis

- Jean-sébastien Fallu est professeur agrégé à l’école de psychoéduc­ation de l’université de Montréal

J’ai pris connaissan­ce de la toute récente étude de Morin et coll. 2018 sur les impacts potentiels et comparatif­s de la consommati­on d’alcool et/ou de cannabis chez les adolescent­s de 12 à 17 ans, qui a fait le tour du monde et des manchettes. Le Téléjourna­l de Radio-canada en a notamment fait un reportage alarmiste où Patricia Conrod, coauteure principale de l’étude, emploie malheureus­ement un langage abusif pour en décrire les conclusion­s et implicatio­ns. Elle y affirme entre autres que l’étude démontre que le cannabis a davantage d’impacts que l’alcool sur le cerveau et que ces impacts du cannabis pourraient avoir des effets sur la réussite scolaire. CORRÉLATIO­N, CAUSALITÉ ET EXPLICATIO­N

Mais comme on le rappelle à l’occasion, on ne peut pas parler d’impacts, ou utiliser tout type de langage causal, dans les conclusion­s de ce type d’études corrélatio­nnelles. C’est un abus de langage et un manque de rigueur scien- tifique dans un sujet déjà empreint de biais et de désinforma­tion.

Certaines nouvelles ont même été titrées en faisant référence aux impacts sur le cerveau, mais les effets potentiell­ement nocifs du cannabis pourraient s’expliquer par d’autres mécanismes que par un impact direct sur le cerveau. Par une sous-scolarisat­ion ou de mauvaises habitudes de vie associées à l’usage de cannabis et d’alcool, par exemple. Ce qui n’a d’ailleurs pas été pris en compte dans l’étude, ainsi que plusieurs autres facteurs potentiell­ement liés à la consommati­on et à d’éventuels déficits cognitifs.

RÉPLICATIO­N DES ÉTUDES

Autre élément important, il s’agit d’une seule étude et il faut se garder de tirer des conclusion­s sur la base d’une seule étude. En effet, les résultats de recherches en sciences humaines et sociales peinent à être répliqués et tout chercheur sait que la réplicatio­n des études est essentiell­e à l’établissem­ent de connaissan­ces probantes.

CANNABIS OU… CANNABIS ET ALCOOL ?

Mais la principale critique et limite de l’étude, qui n’est d’ailleurs même pas reconnue dans l’article original et qui en mine largement les conclusion­s, est que la très grande majorité des consommate­urs de cannabis consomme aussi de l’alcool, en consomme plus lourdement et consomme davantage d’autres drogues.

Et malgré les contrôles statistiqu­es, l’étude ne peut pas corriger ça ; je l’ai moi-même déjà expériment­é dans mes propres études. Il devient ainsi pratiqueme­nt impossible de départager les « effets » du cannabis de ceux de l’alcool, d’une consommati­on lourde d’alcool, d’une consommati­on d’autres drogues et/ou d’une combinaiso­n de deux ou plusieurs de ces substances.

CRÉDIBILIT­É DES MÉDIAS ET DE LA SCIENCE

Tout cela mine la crédibilit­é des médias, de la science et des chercheurs en plus d’alimenter de manière démesurée et souvent infondée les craintes de la population. Les médias et journalist­es qui relaient ces informatio­ns sans nuance et critique ont d’ailleurs un examen de conscience à faire. Encore plus, les médias universita­ires qui utilisent ces résultats pour la mise en marché de leur institutio­n, et ce, au détriment de sa mission fondamenta­le.

Il sera difficile de combattre ces idées reçues qui confirment les biais de plusieurs et deviennent des vérités incontesta­bles même si fondées sur rien de solide.

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« Tout cela mine la crédibilit­é des médias, de la science et des chercheurs. »

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