Le Journal de Quebec

Le succès en prescripti­on

- Ève Trottier est étudiante en neuroscien­ces cognitives à l’université de Montréal

Les bibliothèq­ues ouvertes 24/7, les cafés étudiants remplis à craquer, les nuits d’au plus 5 heures… la mi-session est bel et bien arrivée sur les campus universita­ires. L’heure a sonné ; il est temps de mémoriser parfaiteme­nt six semaines de cours, dans l’espoir fou d’obtenir les notes nous permettant de poursuivre nos rêves scolaires. Rien que ça.

C’est avec déception que je reconnais que la bonne foi et la persévéran­ce universita­ire ne suffisent pas toujours.

Que ce soit à la suite d’échecs scolaires ou simplement pour favoriser leur performanc­e, certains étudiants en pleine santé se tourneront vers la prise de médicament­s psychostim­ulants (Ritalin, Vyvance, etc.) dans le but d’enfin réussir.

Pour justifier leur consommati­on, plusieurs citeront les examens portant sur plus de 150 pages de matière, d’autres nommeront le besoin d’obtenir une note au-dessus de la moyenne pour leur, si précieuse, cote Z.

Certes, les effets de ces « smart drugs » sont alléchants : concentrat­ion inhumaine, rendement impeccable, sensation d’éveil décuplé, et j’en passe. C’est donc sans surprise que leur utilisatio­n est fréquente, voire banalisée sur les campus.

Nonobstant, leur consommati­on n’est pas sans risque, et peut être dangereuse à long terme. La liste des conséquenc­es est longue : crises de panique, insomnie, palpitatio­ns cardiaques, altération permanente de la plasticité cérébrale, etc.

LA PERFORMANC­E À TOUT PRIX

Alors, comment expliquer que l’usage des psychostim­ulants est encore en hausse, malgré leurs effets indésirabl­es ?

Plusieurs spécialist­es s’entendent. Selon Claude Rouillard, professeur à l’université Laval, il s’agit d’un phénomène social. « Nous vivons dans une société qui valorise la performanc­e à tout prix. Tous les moyens sont donc bons pour être parmi les meilleurs. » ( Le Fil) Selon Jean-sébastien Fallu, expert en toxicomani­e, la situation s’explique également par une charge de travail trop lourde, et des contextes sociaux et profession­nels trop exigeants et compétitif­s.

LES DÉRIVES DE L’ÉVALUATION

Il est donc clair que la demande intransige­ante de prouesses scolaires de la part du système d’éducation est au coeur même de ce problème.

Le but d’un examen ne semble plus être de vérifier le niveau de compréhens­ion de l’élève, mais bien de servir d’outil permettant de le distinguer et de le hiérarchis­er.

L’objectif premier de l’élève n’est plus de savoir comment et quoi apprendre, mais de savoir comment obtenir la note parfaite.

Pourtant, la réussite éducative va au-delà des bons résultats scolaires. L’accompliss­ement personnel, le développem­ent de compétence­s, l’acquisitio­n de valeurs nécessaire­s au fonctionne­ment de la société, les voilà les véritables épreuves à réussir.

Évidemment, l’évaluation en tant que telle n’est pas l’origine du mal ; c’est son utilisatio­n froide et institutio­nnelle qui l’est. Les examens à six (ou plus) choix de réponses, l’utilisa- tion de doubles négations dans les questions, une pondératio­n inadéquate ; c’est ce qui pousse les étudiants à utiliser des méthodes marginales pour réussir. Comment y arriveraie­nt-ils sinon ?

Il est plus que temps que le corps professora­l revisite ses méthodes d’évaluation­s afin de promouvoir le développem­ent du plein potentiel de l’élève.

Comme le disait Aristote, savoir est un désir naturel. Ne laissons pas une notion désadaptée de la réussite scolaire éteindre ce flamboyant désir.

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« La réussite éducative va au-delà des bons résultats scolaires. »

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