Le Journal de Quebec

Autobiogra­phie-choc de Denise Bombardier

- Maboctk- BOCK-CÔTÉ cothe@queibeecor­muedia.com mathieu.

Madame B, alias Denise Bombardier, publie ses mémoires. Elle y raconte, pour reprendre son titre, « une vie sans peur et sans regret », celle d’une jeune fille née d’un milieu culturelle­ment désoeuvré qui gravira l’échelle sociale grâce à l’éducation, sa maîtrise de la langue française et une incroyable énergie vitale. « Je suis une parvenue au sens propre du terme. » Cette phrase annonce un voyage de Villeray à Paris sur trois quarts de siècle d’une adorée par les uns et détestée par les autres.

Denise Bombardier a la réputation d’une femme passionnée. À la lecture de ses mémoires, on constate que la légende est fidèle à la réalité. À travers sa propre vie, elle raconte une époque presque oubliée, celle d’un Québec qui cherche à s’affranchir, s’ouvre au monde et se libère de vieilles tutelles.

Mais « le rêve de l’affranchis­sement commun s’est fracassé à deux reprises », et on découvre une femme bien plus meurtrie qu’il n’y paraît par l’échec de l’indépendan­ce du Québec, un thème qui traverse le livre. Celle à qui Jacques Parizeau avait offert de devenir ministre de la Culture ou patronne de Radio-québec a toujours dit non à la politique, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir de profondes conviction­s.

Grande journalist­e à l’époque du grand journalism­e, elle fut une tête d’affiche de Radio-canada à l’époque où le diffuseur public croyait davantage aux entrevues de fond et aux ambitieuse­s émissions d’affaires publiques qu’au divertisse­ment facile. En la lisant, il est difficile de ne pas se montrer nostalgiqu­e d’un temps où la culture du clip ne ravageait pas complèteme­nt le monde de l’informatio­n.

UNE PART D’ELLE-MÊME

Passionnée par la France, où elle sera reconnue comme écrivaine, Bombardier tissera un lien aussi intime qu’essentiel avec les figures françaises les plus importante­s de son époque. Au fil des pages, les grands noms défilent, mais non pas comme les présentera­it une femme s’amusant à exposer son carnet d’adresses.

Au contraire, Denise Bombardier parle de vrais amis, qui ne la réduisiren­t pas au rôle de la Québécoise de service, refusé avec raison. Si une vie riche est une vie entourée d’interlocut­eurs de grande qualité comme Marguerite Yourcenar, Benoîte Groult, Alain Peyrefitte ou François Mitterrand, Madame B n’a pas à rougir de la sienne. On comprend qu’une part d’elle-même n’a pu s’épanouir qu’en France. Elle n’est pas loin d’avouer que c’est peut-être même sa meilleure part.

Bombardier fut aussi une grande amoureuse. « Les balises de ma vie sont définies par les hommes que j’ai aimés. Soit l’exact contraire de la plupart des hommes, qui ont tendance à résumer leur existence aux étapes de leur parcours profession­nel. » On rencontre alors inévitable­ment la figure de Lucien Bouchard, dont elle trace un portrait tendre et sévère, aussi généreux que désillusio­nné, qu’elle a aimé jusqu’à risquer de s’autodétrui­re.

UN TRÈS GRAND LIVRE

On croise aussi plusieurs goujats et autres harceleurs sexuels que Denise Bombardier saura rembarrer de belle manière. À l’heure d’une société marquée par le #Moiaussi, l’histoire intime de Denise Bombardier n’est pas sans intérêt. Elle tranche avec un certain féminisme radical, qui enferme les femmes dans le rôle de victimes. La formule frappe : « le radicalism­e féministe n’est pas moins dommageabl­e que le machisme dominant de nos sociétés modernes ».

Elle raconte ainsi avec une certaine désinvoltu­re comment, quelques secondes avant une interview, Pierre Trudeau lui glisse à l’oreille qu’il pourrait lui « faire du genou », ce dont elle ne s’indigna pas : elle y verra surtout une manoeuvre de déstabilis­ation séductrice à laquelle elle répondra en menant une entrevue particuliè­rement serrée – une des meilleures de sa vie, dit-elle fièrement.

Revenons sur l’ensemble du livre, qui permet de revivre l’histoire du Québec en embrassant ses espérances et en pleurant ses échecs, d’autant que « triste réalité, les Québécois ne sont plus tricotés serrés ». On comprend le regard sévère de Madame B pour ce qu’il est devenu.

Jean-françois Revel, qui fut pour Denise Bombardier à la fois un maître et un ami en France, a publié à la fin de sa vie des mémoires exceptionn­els, ayant pour titre Le voleur dans la maison vide. Je tiens ce livre pour un très grand livre, où Revel est devenu pleinement l’écrivain qu’il était.

En lisant les mémoires de Denise Bombardier, c’est à ce très grand livre que je les comparais.

 ??  ??
 ??  ?? À la lecture de ses mémoires, on constate que la légende est fidèle à la réalité.
À la lecture de ses mémoires, on constate que la légende est fidèle à la réalité.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada