GUY CHEVRETTE « LES POLITICIENS NE JOUENT QUE SUR L’IMAGE »
Chaque semaine, notre chroniqueuse politique Karine Gagnon va à la rencontre de personnalités marquantes de la région de Québec. À lire, tous les dimanches.
Plus en retrait de la sphère publique depuis un an, Guy Chevrette n’en a pas pour autant perdu son mordant. Critique, il se désole du manque de profondeur et de conviction qui domine selon lui la scène politique au Québec, comme ailleurs en Occident.
À l’aube de ses 79 ans, celui qui a occupé différents ministères au cours de ses 26 ans de carrière de député suit toujours de près ce qui se passe sur la scène politique québécoise. Entre deux séjours de pêche, une grande passion, cet enseignant de formation continue de réfléchir à la société et à son avenir, qu’il a toujours eu très à coeur.
Doté d’un bouillant caractère, qui lui a valu comme politicien les surnoms de « ti-coq » et du « tigre » (en référence à l’ex-entraîneur Michel Bergeron), Guy Chevrette ne passe jamais par quatre chemins pour exprimer sa façon de penser.
« Je suis franc, bête, tout le monde me dit ça. Mais les gens me disent aussi qu’ils savent au moins ce que je pense, que je vais leur donner l’heure juste. »
M. Chevrette a souvent entendu ce commentaire pendant les dernières élections, en faisant son marché, où les gens ont l’habitude de l’arrêter pour jaser de politique. « Ils me disent qu’ils s’ennuient de gens comme nous, parce qu’ils ont l’impression que les politiciens ne jouent que sur l’image, et non pas sur le contenu. »
Cet allié de la première heure de René Lévesque rappelle que, quand il s’est présenté, en 1976, l’équipe avait bâti ses engagements électoraux avec les groupes concernés, et s’assurait ainsi d’une cohérence et d’une résonance.
Une fois au pouvoir, les péquistes ont mis en place de nombreuses lois charnières : sur le zonage agricole, antiscab, aménagement du territoire et création des MRC, assurance automobile, langue française, énumère-t-il.
« Tout le monde connaissait ces engagements, on y a cru, on les a vendus et ils étaient très réfléchis, mais aujourd’hui, demandez à la population de nommer trois engagements de cha- cun des partis : ceux-ci n’ont pas été expliqués pendant la campagne ».
CONFRONTATIONS EN SÉRIESW
Les partis misent trop sur les médias sociaux, considère ce vieux routier, et oublient que bien des gens n’y sont pas visibles. La presse contribue aussi selon lui à ce phénomène, où l’image est reine, en opposant tous les autres partis dès la déclaration d’engagements.
Il en résulte des confrontations en séries qui font la nouvelle, mais « ça empêche de discuter du fond, observe M. Chevrette. Si bien qu’aujourd’hui, on vote pour se débarrasser d’un parti, sur le charisme d’un chef, sans nécessairement avoir le contenu. »
Il donne l’exemple de François Legault qui ne savait pas que le Nouveau-brunswick est la seule province officiellement bilingue au Canada. « Je ne suis pas sûr que, dans notre temps, ça aurait passé […] C’est triste, mais regarde ce qui se passe aux États-unis et dans plusieurs pays européens… »
Il attribue également les difficultés qu’éprouve le nouveau premier ministre à préciser sa position sur l’immigration à ce manque de profondeur. « C’est mal expliqué, mal perçu, peutêtre mal conçu même dans sa tête », opine-t-il.
COMPARAISON FAUSSÉE
L’ex-ministre rigole lorsque viennent à ses oreilles des comparaisons entre l’équipe de M. Legault, qui compte de solides curriculum vitae, et celle de M. Lévesque, en 1976. Selon lui, ça n’a rien à voir, pas plus que la supposée révolution annoncée par M. Legault.
Il souligne la qualité des élus que sont Geneviève Guilbault, Christian Dubé et Simon Jolin-barrette, qui « peuvent aller loin s’ils tiennent le coup ».
La voix de M. Chevrette s’ajoute à celles, nombreuses, qui critiquent l’ambivalence de François Legault à propos de la souveraineté. Il y va d’une flèche pour son ancien collègue. « Ce n’est pas de l’ambivalence, mais une absence d’idées […], évalue-t-il. Il m’avait traité de souverainiste lent, mais je n’ai pas encore troqué mes convictions pour mes ambitions. »
M. Chevrette raconte que « Legault prise un », qui était alors péquiste, avait calculé que le référendum serait gagnant. Et que « Legault prise deux » calcule, à travers son « nouveau projet nationaliste », grâce auquel il entend rapatrier des pouvoirs du Québec et mieux le positionner au sein du Canada, que « le fédéralisme est une très bonne chose, rentable, mais en autant que ce soit lui le négociateur. C’est niaiseux, c’est cucu même, j’ai bien hâte de voir ça devant (Justin) Trudeau ».
RETOUR À QUÉBEC
Malgré cet intérêt toujours aussi marqué pour la bête, la politique active n’a jamais manqué à M. Chevrette, jure celui qui a publié ses mémoires il y a trois ans, sous la plume de Shirley Bishop.
Hyperactif – il était du genre à abattre des semaines de 100 heures –, il y a laissé son mariage, en 1991. « J’ai été chanceux, car mes enfants sont restés près de moi malgré tout », raconte celui qui a aussi opéré des cabinets de services-conseils et représenté à ce titre le Conseil de l’industrie forestière pendant six ans.
Ses deux fils, l’un avocat et l’autre radiologiste, lui ont donné six petits-enfants dont il est très fier. Parmi eux, deux footballeurs qui ont du coffre et qui tiennent de leur arrière-grand-père. Guy Chevrette a plutôt hérité du gabarit de sa mère, partie trop tôt, à 42 ans, alors qu’il amorçait la vingtaine. Ce deuil marquant frappe à nouveau dans la famille, alors que l’un de ses fils vient de perdre sa femme et mère de ses deux enfants. Il essaie d’aider du mieux qu’il peut, lui qui comprend très bien cette souffrance.
Retourné à Joliette en 2014, l’ex-politicien envisage de revenir vivre à Québec « pour y finir ses jours ». Après avoir combattu un cancer, la santé s’est rétablie. Québec, c’est beau, il y a gardé beaucoup d’amis, et l’un de ses fils y habite.
Il pourra aussi continuer d’y suivre de près le déroulement de la vie politique, non loin du parlement, lieu de mémoire où il a vécu tant de moments marquants.