L’effaceur magique ?
Pour la première fois dans l’histoire de notre province, une loi imposera le congédiement de salariés, dans l’éventualité où le nouveau gouvernement décide d’aller de l’avant avec sa promesse électorale d’interdire le port de signes religieux chez certains employés de l’état en position d’autorité.
En effet, c’est en revêtant son chapeau de législateur que l’état entend réguler cette condition de travail, ce qui lui permettrait d’ailleurs de recourir à la clause de dérogation.
Par l’utilisation de ce mécanisme, la liberté de religion et le droit à l’égalité ne pourraient servir de point d’appui pour contester la validité constitutionnelle de la loi proposée, qui serait alors incontestable devant les tribunaux et resterait intacte.
Y A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ?
L’état a bien beau se cacher derrière son pouvoir législatif, il n’en demeure pas moins qu’en définitive le congédiement sera imposé par l’état en sa qualité d’employeur. Le législateur ne peut évidemment pas signer une lettre de congédiement…
Et comme tout employeur, le gouvernement ne peut pas faire de discrimination dans le renvoi et les conditions de travail de ses employés, comme le prévoit la Charte québécoise.
Cela signifie qu’il devra respecter son obligation d’accommodement raisonnable, en assouplissant sa norme d’emploi discriminatoire et en explorant diverses mesures pour maintenir le lien d’emploi, à moins qu’il n’en résulte une contrainte excessive dans son organisme.
LORSQUE LA NORME D’EMPLOI EST DICTÉE PAR UNE LOI
Le fait que la norme d’emploi contestée provienne d’une loi de l’assemblée nationale ne décharge pas automatiquement l’employeur de son obligation d’accommodement. En décidant de congédier des employés pour satisfaire aux obligations que lui impose une loi, l’employeur se trouve à intégrer cette norme dans son entreprise.
Les tribunaux ont d’ailleurs conclu qu’un employeur devait se soumettre à son obligation d’accommodement à propos des normes d’emploi suivantes, qui reflétaient pourtant des obligations imposées par une loi : l’obligation de porter un casque de sécurité pour des camionneurs, y compris ceux de religion sikhe réclamant le droit de porter leur turban, en vertu du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail ;
le refus d’attribuer un poste à une salariée, aux prises avec des problèmes lombaires, fondé sur l’obligation de tout employeur de protéger la santé et la sécurité des travailleurs, au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;
le rejet de la candidature d’une avocate unilingue francophone, en raison de la Loi sur la protection de la jeunesse qui impose aux intervenants une obligation d’information à l’égard des parents et de l’enfant anglophones.
L’obligation d’accommodement raisonnable de l’état-employeur pourrait donc ici servir de bouclier contre l’utilisation de la clause dérogatoire par la formation politique de François
Legault, et ainsi sauver l’emploi de fonctionnaires vis-à-vis desquels des mesures d’accommodement seraient envisageables.
Sébastien Parent est chargé de cours à la Faculté de droit de l’université de Montréal et à Polytechnique Montréal, et chercheur doctoral au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail.