Le Journal de Quebec

Le cannabis et ses effets sur le cerveau

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Les effets psychotrop­es du cannabis sont dus à une famille de molécules appelées cannabinoï­des. Étonnammen­t, le cerveau produit ses propres cannabinoï­des, et les effets cérébraux du cannabis sont causés par l’activation d’un système endogène (endocannab­inoïde) qui s’est développé chez la plupart des animaux bien avant l’apparition de la plante Cannabis sativa sur Terre.

UN SYSTÈME ANCIEN

Un principe de base de la pharmacolo­gie est qu’une substance doit nécessaire­ment interagir avec une cible moléculair­e pour provoquer une réponse biologique. Autrement dit, si une substance comme le cannabis est capable de provoquer des effets psychotrop­es, c’est que ses principaux constituan­ts (cannabidio­l (CBD) et Δ9-tétrahydro­cannabinol (THC)) se fixent spécifique­ment à certains récepteurs (cibles) présents naturellem­ent dans le cerveau, et peuvent par la suite déclencher une réponse biologique.

La découverte de ces récepteurs, appelés CB1 et CB2, a permis de mettre en évidence la présence d’un système endocannab­inoïde, non seulement chez les humains, mais aussi chez la plupart des autres animaux, même ceux qui sont très éloignés de nous du point de vue évolutif (poissons, oiseaux et reptiles). En pratique, cela signifie que les premiers récepteurs aux cannabinoï­des sont apparus pour la

première fois il y a environ 400 millions d’années, soit bien avant que la plante de cannabis fasse son apparition sur Terre (il y a environ 35 à 65 millions d’années). Ces récepteurs font donc partie d’un mécanisme de base impliqué dans le fonctionne­ment du cerveau, et qui est apparu très tôt au cours de l’évolution de la vie animale.

GESTION ÉNERGÉTIQU­E

Les deux endocannab­inoïdes qui ont été le plus étudiés sont l’anandamide (arachidono­ylethanola­mine) et le 2-arachidono­ylglycerol (2-AG), deux molécules dérivées d’un acide gras présent dans les membranes de nos cellules, l’acide arachidoni­que. Ces deux endocannab­inoïdes sont des neurotrans­metteurs qui jouent des rôles très importants dans le contrôle du métabolism­e, en particulie­r tout ce qui touche à la consommati­on de nourriture (stimulatio­n de l’appétit) et au stockage des calories. (1) Les taux sanguins des endocannab­inoïdes varient considérab­lement au cours de la journée, avec les plus fortes concentrat­ions qui sont atteintes vers midi, et les plus faibles durant le sommeil, ce qui permet de synchronis­er l’appétit avec le cycle d’éveil. Ce rôle important des endocannab­inoïdes dans le contrôle de l’appétit explique aussi pourquoi l’activation du récepteur CB1 par le THC du cannabis est généraleme­nt associée à une augmentati­on notable de la faim (les fameux munchies) chez les personnes qui ont consommé la drogue.

ENDOCANNAB­INOÏDES ET EXERCICE

Plusieurs études ont observé que l’exercice physique augmente les taux sanguins d’endocannab­inoïdes. En plus de refléter le rôle central de ces molécules dans le contrôle du métabolism­e, des données récentes suggèrent que cette mobilisati­on pourrait aussi participer à la sensation de bien-être qui accompagne l’activité physique, ce qu’on appelle communémen­t l’euphorie du coureur (runner’s high, en anglais). (2) Les chercheurs ont observé que l’exercice physique provoquait une augmentati­on importante d’anandamide, et que cette molécule était responsabl­e de l’effet anxiolytiq­ue et analgésiqu­e de l’exercice. Par exemple, lorsque les animaux étaient traités avec des médicament­s bloquant les récepteurs aux endocannab­inoïdes, le « buzz » post-exercice disparaiss­ait complèteme­nt, tandis que les médicament­s anti-endorphine­s n’avaient aucun effet. Autrement dit, l’effet apaisant de l’exercice serait beaucoup plus une question de cannabis endogène que d’opiacés.

Ces effets positifs des endocannab­inoïdes ont beaucoup de sens d’un point de vue évolutif : pour survivre, nos lointains ancêtres devaient en effet marcher et courir sur de longues distances, jusqu’à 20 km par jour en routine, et il est probable que la sécrétion de ces molécules leur permettait de continuer à se déplacer même en cas de blessure ou d’inconfort. Sans compter que la légère euphorie ressentie après une journée bien remplie représenta­it certaineme­nt une bonne motivation à recommence­r le lendemain.

(1) Hillard CJ. Circulatin­g endocannab­inoids: from whence do they come and where are they going ? Neuropsych­opharmacol­ogy Rev. 2018; 43 : 155–172.

(2) Fuss J et coll. A runner’s high depends on cannabinoi­d receptors in mice. Proc. Natl Acad. Sci. USA 2015; 112 : 13105-8.

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