Notre placement vire au rouge
La valeur comptable du programme d’avions créé par Bombardier est maintenant négative
On comprend maintenant pourquoi la vérificatrice générale avait des doutes sur l’évaluation faite par le gouvernement de son investissement de 1,3 milliard $ dans la C Series. La valeur du placement vient officiellement de passer dans le rouge, et ce pour la première fois, confirment des chiffres publiés hier par Airbus.
Dans ses états financiers du troisième trimestre, publiés hier, Airbus établit à 6,9 milliards $ la valeur de la C Series, maintenant connue sous le nom d’a220. Cette évaluation est en date du 1er juillet, alors que le géant européen prenait officiellement le contrôle du programme.
La participation de Québec dans le programme, qui s’élève à 16,4 %, a donc une valeur de 1,136 milliard $, soit 178,5 millions $ de moins que les 1,315 milliard $ déboursés par le gouvernement en 2016. À l’époque, Québec détenait 49,5 % de la C Series, mais sa participation a fondu en raison des réinvestissements effectués par Bombardier au fil du temps.
En juin, pourtant, le gouvernement assurait que la valeur du placement n’était pas inférieure à 1,134 milliard $ et qu’elle pouvait même atteindre 1,3 milliard $.
Se disant incapable de valider cette évaluation de façon indépendante, la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, avait formulé une « réserve » sur les états financiers du Fonds du développement économique, d’où a été tiré l’investissement dans la C Series.
GRANDES SYNERGIES D’AIRBUS
Il faut toutefois noter que, pour en arriver à son évaluation de la C Series, Airbus a attribué une grande valeur aux « synergies » qu’elle compte apporter au programme : 6,1 milliards $. L’entreprise entend y parvenir en augmentant les ventes d’avions et en réduisant les coûts de production.
En fait, sur le plan strictement comptable, la valeur de la C Series était négative de 3,03 milliards $ au 1er juillet, selon Airbus. Il s’agit de la différence entre la valeur des actifs du programme, 4,43 milliards $, et celle de ses passifs (dettes), 7,46 milliards $.
Au 30 juin, dernier jour où elle contrôlait la C Series, Bombardier donnait plutôt une valeur comptable positive de 1,6 milliard $ au programme. Six mois plus tôt, la valeur comptable s’élevait à 1,8 milliard $.
LES VENTES À PERTE EXPLOSENT
Comment la valeur de la C Series a-t-elle pu dégringoler autant en quelques mois ? Airbus estime que la C Series perdra plus de 4 milliards $ avec la vente d’avions à des prix largement inférieurs aux coûts de production. Bombardier évaluait cette perte à moins de 2 milliards $.
Selon Michel Magnan, professeur de comptabilité à l’université Concordia, il n’est pas inhabituel que deux entreprises n’attribuent pas la même valeur à des actifs et à des passifs dans le cadre d’une transaction.
« En mettant beaucoup de passifs comme ça, au début, la direction d’airbus se dit que si ça va mieux que prévu, ça va aider à sa rentabilité future », explique-t-il.
Le spécialiste souligne que l’investissement de Québec a permis à la C Series de survivre.
« Les avions sont construits ici et l’équipe technique est encore ici, dit-il. Personne ne sait de quoi l’avenir aura l’air. Au moins, pour l’instant, on n’a pas tout perdu notre mise, contrairement à d’autres investissements dans des entreprises. »
Dans le document publié hier, Airbus précise avoir déboursé 754 $ US (992 $ CA) pour acquérir les 754 actions qui lui ont donné le contrôle de la Société en commandite Avions C Series. Mais du même coup, l’entreprise a aussi reçu des bons pour des actions de Bombardier valant 346 millions $, de sorte qu’elle a été payée pour obtenir le programme d’avions.